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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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noz amis, que celle que nous apporte la
science de n'avoir rien oublié à leur dire, et d'avoir eu avec eux
une parfaite et entiere communication d'un amy. En vaux-je mieux
d'en avoir le goust, ou si j'en vaux moins ? j'en vaux certes
bien mieux. Son regret me console et m'honnore. Est-ce pas un pieux
et plaisant office de ma vie, d'en faire à tout jamais les
obseques ? Est-il jouyssance qui vaille cette
privation ?
    Je m'ouvre aux miens tant que je puis, et leur signifie
tres-volontiers l'estat de ma volonté, et de mon jugement envers
eux, comme envers un chacun : je me haste de me produire, et
de me presenter : car je ne veux pas qu'on s'y mesconte, à
quelque part que ce soit.
    Entre autres coustumes particulieres qu'avoient noz anciens
Gaulois, à ce que dit Cæsar, cette-cy en estoit l'une, que les
enfans ne se presentoyent aux peres, ny fosoyent trouver en public
en leur compagnie, que lors qu'ils commençoyent à porter les
armes ; comme s'ils vouloyent dire que lors il estoit aussi
saison, que les peres les receussent en leur familiarité et
accointance.
    J'ay veu encore une autre sorte d'indiscretion en aucuns peres
de mon temps, qui ne se contentent pas d'avoir privé pendant leur
longue vie, leurs enfans de la part qu'ils devoient avoir
naturellement en leurs fortunes, mais laissent encore apres eux, à
leurs femmes cette mesme authorité sur tous leurs biens, et loy
d'en disposer à leur fantasie. Et ay cognu tel Seigneur des
premiers officiers de nostre Couronne, ayant par esperance de droit
à venir, plus de cinquante mille escus de rente, qui est mort
necessiteux et accablé de debtes, aagé de plus de cinquante ans, sa
mere en son extreme decrepitude, jouyssant encore de tous ses biens
par l'ordonnance du pere, qui avoit de sa part vescu pres de quatre
vingts ans. Cela ne me semble aucunement raisonnable.
    Pourtant trouve-je peu d'advancement à un homme de qui les
affaires se portent bien, d'aller chercher une femme qui le charge
d'un grand dot ; il n'est point de debte estrangere qui
apporte plus de ruyne aux maisons : mes predecesseurs ont
communement suyvi ce conseil bien à propos, et moy aussi. Mais ceux
qui nous desconseillent les femmes riches, de peur qu'elles soyent
moins traictables et recognoissantes, se trompent, de faire perdre
quelque reelle commodité, pour une si frivole conjecture. A une
femme desraisonnable, il ne couste non plus de passer par dessus
une raison, que par dessus une autre. Elles s'ayment le mieux où
elles ont plus de tort. L'injustice les alleche : comme les
bonnes, l'honneur de leurs actions vertueuses : Et en sont
debonnaires d'autant plus, qu'elles sont plus riches : comme
plus volontiers et glorieusement chastes, de ce qu'elles sont
belles.
    C'est raison de laisser l'administration des affaires aux meres
pendant que les enfans ne sont pas en l'aage selon les loix pour en
manier la charge : mais le pere les a bien mal nourris, s'il
ne peut esperer qu'en leur maturité, ils auront plus de sagesse et
de suffisance que sa femme, veu l'ordinaire foiblesse du sexe. Bien
seroit-il toutesfois à la verité plus contre nature, de faire
despendre les meres de la discretion de leurs enfans. On leur doit
donner largement, dequoy maintenir leur estat selon la condition de
leur maison et de leur aage, d'autant que la necessité et
l'indigence est beaucoup plus mal seante et mal-aisée à supporter à
elles qu'aux masles : il faut plustost en charger les enfans
que la mere.
    En general, la plus saine distribution de noz biens en mourant,
me semble estre, les laisser distribuer à l'usage du païs. Les loix
y ont mieux pensé que nous : et vaut mieux les laisser faillir
en leur eslection, que de nous hazarder de faillir temerairement en
la nostre. Ils ne sont pas proprement nostres, puis que d'une
prescription civile et sans nous, ils sont destinez à certains
successeurs. Et encore que nous ayons quelque liberté audelà, je
tien qu'il faut une grande cause et bien apparente pour nous faire
oster à un, ce que sa fortune luy avoit acquis, et à quoy la
justice commune l'appelloit : et que c'est abuser contre
raison de cette liberté, d'en servir noz fantasies frivoles et
privées. Mon sort m'a faict grace, de ne m'avoir presenté des
occasions qui me peussent tenter, et divertir mon affection de la
commune et legitime ordonnance. J'en voy, envers qui c'est temps
perdu d'employer un long soin de bons offices. Un mot receu de
mauvais biais efface le merite de

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