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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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et par le besoin, ny par rudesse et par
force.
    et errat longe, mea quidem
sententia,
Qui imperium credat esse gravius aut stabilius
Vi quod fit, quam illud quod amicitia adjungitur
.
    J'accuse toute violence en l'education d'une ame tendre, qu'on
dresse pour l'honneur, et la liberté. Il y a je ne sçay quoy de
servile en la rigueur, et en la contraincte : et tiens que ce
qui ne se peut faire par la raison, et par prudence, et addresse,
ne se fait jamais par la force. On m'a ainsin eslevé : ils
disent qu'en tout mon premier aage, je n'ay tasté des verges qu'à
deux coups, et bien mollement. J'ay deu la pareille aux enfans que
j'ay eu : Ils me meurent tous en nourrisse : mais Leonor,
une seule fille qui est eschappée à cette infortune, a attaint six
ans et plus, sans qu'on ayt employé à sa conduicte, et pour le
chastiement de ses fautes pueriles (l'indulgence de sa mere s'y
appliquant aysément) autre chose que parolles, et bien
douces : Et quand mon desir y seroit frustré, il est assez
d'autres causes ausquelles nous prendre, sans entrer en reproche
avec ma discipline, que je sçay estre juste et naturelle. J'eusse
esté beaucoup plus religieux encores en cela vers des masles, moins
nais à servir, et de condition plus libre : j'eusse aymé à
leur grossir le coeur d'ingenuité et de franchise. Je n'ay veu
autre effect aux verges, sinon de rendre les ames plus lasches, ou
plus malitieusement opiniastres.
    Voulons nous estre aymez de noz enfans ? leur voulons nous
oster l'occasion de souhaiter nostre mort ? (combien que nulle
occasion d'un si horrible souhait, ne peut estre ny juste ny
excusable ;
nullum scelus rationem habet
) accommodons
leur vie raisonnablement, de ce qui est en nostre puissance. Pour
cela, il ne nous faudroit pas marier si jeunes que nostre aage
vienne quasi à se confondre avec le leur : Car cet
inconvenient nous jette à plusieurs grandes difficultez. Je dy
specialement à la noblesse, qui est d'une condition oysifve, et qui
ne vit, comme on dit, que de ses rentes : car ailleurs, où la
vie est questuaire, la pluralité et compagnie des enfans, c'est un
agencement de mesnage, ce sont autant de nouveaux utils et
instrumens à s'enrichir.
    Je me mariay à trente trois ans, et louë l'opinion de trente
cinq, qu'on dit estre d'Aristote. Platon ne veut pas qu'on se marie
avant les trente : mais il a raison de se mocquer de ceux qui
font les oeuvres de mariage apres cinquante cinq : et condamne
leur engeance indigne d'aliment et de vie.
    Thales y donna les plus vrayes bornes : qui jeune,
respondit à sa mere le pressant de se marier, qu'il n'estoit pas
temps : et, devenu sur l'aage, qu'il n'estoit plus temps. Il
faut refuser l'opportunité à toute action importune.
    Les anciens Gaulois estimoient à extreme reproche d'avoir eu
accointance de femme, avant l'aage de vingt ans : et
recommandoient singulierement aux hommes, qui se vouloient dresser
pour la guerre, de conserver bien avant en l'aage leur
pucellage ; d'autant que les courages s'amollissent et
divertissent par l'accouplage des femmes.
    Ma hor congiunto à giovinetta
sposa,
Lieto homai de' figli era invilito
Ne gli affetti di padre et di marito
.
    Muleasses Roy de Thunes, celuy que l'Empereur Charles cinquiesme
remit en ses estats, reprochoit la memoire de Mahomet son pere, de
sa hantise avec les femmes, l'appellant brode, effeminé, engendreur
d'enfants.
    L'histoire Grecque remarque de Jecus Tarentin, de Chryso,
d'Astylus, de Diopopus, et d'autres, que pour maintenir leurs corps
fermes au service de la course des jeux Olympiques, de la
Palæstrine, et tels exercices, ils se priverent autant que leur
dura ce soing, de toute sorte d'acte Venerien.
    En certaine contrée des Indes Espagnolles, on ne permettoit aux
hommes de se marier, qu'apres quarante ans, et si le permettoit-on
aux filles à dix ans.
    Un gentil-homme qui a trente cinq ans, il n'est pas temps qu'il
face place à son fils qui en a vingt : il est luy-mesme au
train de paroistre et aux voyages des guerres, et en la cour de son
Prince : il a besoin de ses pieces ; et en doit
certainement faire part, mais telle part, qu'il ne s'oublie pas
pour autruy. Et à celuy-là peut servir justement cette responce que
les peres ont ordinairement en la bouche : Je ne me veux pas
despouiller devant que de m'aller coucher.
    Mais un pere atterré d'années et de maux, privé par sa foiblesse
et faute de santé, de la commune societé des hommes, il se faict
tort, et

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