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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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dix ans. Heureux, qui se trouve à
point, pour leur oindre la volonté sur ce dernier passage. La
voisine action l'emporte, non pas les meilleurs et plus frequents
offices, mais les plus recents et presents font l'operation. Ce
sont gents qui se jouent de leurs testaments, comme de pommes ou de
verges, à gratifier ou chastier chaque action de ceux qui y
pretendent interest. C'est chose de trop longue suitte, et de trop
de poids, pour estre ainsi promenée à chasque instant : et en
laquelle les sages se plantent une fois pour toutes, regardans sur
tout à la raison et observance publique.
    Nous prenons un peu trop à coeur ces substitutions
masculines : et proposons une eternité ridicule à noz noms.
Nous poisons aussi trop les vaines conjectures de l'advenir, que
nous donnent les esprits puerils. A l'adventure eust on faict
injustice, de me deplacer de mon rang, pour avoir esté le plus
lourd et plombé, le plus long et desgousté en ma leçon, non
seulement que tous mes freres, mais que tous les enfans de ma
province : soit leçon d'exercice d'esprit, soit leçon
d'exercice de corps. C'est follie de faire des triages
extraordinaires, sur la foy de ces divinations, ausquelles nous
sommes si souvent trompez. Si on peut blesser cette regle, et
corriger les destinées aux chois qu'elles ont faict de noz
heritiers, on le peut avec plus d'apparence, en consideration de
quelque remarquable et enorme difformité corporelle : vice
constant inamandable : et selon nous, grands estimateurs de la
beauté, d'important prejudice.
    Le plaisant dialogue du legislateur de Platon, avec ses
citoyens, fera honneur à ce passage. Comment donc, disent ils
sentans leur fin prochaine, ne pourrons nous point disposer de ce
qui est à nous, à qui il nous plaira ? O Dieux, quelle
cruauté ! Qu'il ne nous soit loisible, selon que les nostres
nous auront servy en noz maladies, en nostre vieillesse, en noz
affaires, de leur donner plus et moins selon noz fantasies ! A
quoy le legislateur respond en cette maniere : Mes amis, qui
avez sans doubte bien tost à mourir, il est mal-aisé, et que vous
vous cognoissiez, et que vous cognoissiez ce qui est à vous,
suivant l'inscription Delphique. Moy, qui fay les loix, tien, que
ny vous n'estes à vous, ny n'est à vous ce que vous jouyssez. Et
voz biens et vous, estes à vostre famille tant passée que
future : mais encore plus sont au public, et vostre famille et
voz biens. Parquoy de peur que quelque flatteur en vostre
vieillesse ou en vostre maladie, ou quelque passion vous sollicite
mal à propos, de faire testament injuste, je vous engarderay. Mais
ayant respect et à l'interest universel de la cité, et à celuy de
vostre maison, j'establiray des loix, et feray sentir, comme de
raison, que la commodité particuliere doit ceder à la commune.
Allez vous en joyeusement où la necessité humaine vous appelle.
C'est à moy, qui ne regarde pas l'une chose plus que l'autre, qui
autant que je puis, me soingne du general, d'avoir soucy de ce que
vous laissez.
    Revenant à mon propos, il me semble en toutes façons, qu'il
naist rarement des femmes à qui la maistrise soit deuë sur des
hommes, sauf la maternelle et naturelle : si ce n'est pour le
chastiment de ceux, qui par quelque humeur fiebvreuse, se sont
volontairement soubsmis à elles : mais cela ne touche
aucunement les vieilles, dequoy nous parlons icy. C'est l'apparence
de cette consideration, qui nous a faict forger et donner pied si
volontiers, à cette loy, que nul ne veit onques, qui prive les
femmes de la succession de cette couronne : et n'est guere
Seigneurie au monde, où elle ne s'allegue, comme icy, par une
vray-semblance de raison qui l'authorise : mais la fortune luy
a donné plus de credit en certains lieux qu'aux autres. Il est
dangereux de laisser à leur jugement la dispensation de nostre
succession, selon le choix qu'elles feront des enfans, qui est à
tous les coups inique et fantastique. Car cet appetit desreglé et
goust malade, qu'elles ont au temps de leurs groisses, elles l'ont
en l'ame, en tout temps. Communement on les void s'addonner aux
plus foibles et malotrus, ou à ceux, si elles en ont, qui leur
pendent encores au col. Car n'ayans point assez de force de
discours, pour choisir et embrasser ce qui le vault, elles se
laissent plus volontiers aller, où les impressions de nature sont
plus seules : comme les animaux qui n'ont cognoissance de
leurs petits, que pendant qu'ils tiennent à leurs

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