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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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n'appartient à gueres de gens. Ceux
d'entre-deux (qui est la plus commune façon) ceux là nous gastent
tout : ils veulent nous mascher les morceaux ; ils se
donnent loy de juger et par consequent d'incliner l'Histoire à leur
fantasie : car depuis que le jugement pend d'un costé, on ne
se peut garder de contourner et tordre la narration à ce biais. Ils
entreprenent de choisir les choses dignes d'estre sçeuës, et nous
cachent souvent telle parole, telle action privée, qui nous
instruiroit mieux : obmettent pour choses incroyables celles
qu'ils n'entendent pas : et peut estre encore telle chose pour
ne la sçavoir dire en bon Latin ou François. Qu'ils estalent
hardiment leur eloquence et leur discours : qu'ils jugent à
leur poste, mais qu'ils nous laissent aussi dequoy juger apres
eux : et qu'ils n'alterent ny dispensent par leurs
racourcimens et par leur choix, rien sur le corps de la
matiere : ains qu'ils nous la r'envoyent pure et entiere en
toutes ses dimensions.
    Le plus souvent on trie pour ceste charge, et notamment en ces
siecles icy, des personnes d'entre le vulgaire, pour ceste seule
consideration de sçavoir bien parler : comme si nous
cherchions d'y apprendre la grammaire : et eux ont raison
n'ayans esté gagez que pour cela, et n'ayans mis en vente que le
babil, de ne se soucier aussi principalement que de ceste partie.
Ainsin à force beaux mots ils nous vont patissant une belle
contexture des bruits, qu'ils ramassent és carrefours des villes.
Les seules bonnes histoires sont celles, qui ont esté escrites par
ceux mesmes qui commandoient aux affaires, ou qui estoient
participans à les conduire, ou au moins qui ont eu la fortune d'en
conduire d'autres de mesme sorte. Telles sont quasi toutes les
Grecques et Romaines. Car plusieurs tesmoings oculaires ayans
escrit de mesme subject (comme il advenoit en ce temps là, que la
grandeur et le sçavoir se rencontroient communement) s'il y a de la
faute, elle doit estre merveilleusement legere, et sur un accident
fort doubteux. Que peut on esperer d'un medecin traictant de la
guerre, ou d'un escholier traictant les desseins des Princes ?
Si nous voulons remerquer la religion, que les Romains avoient en
cela, il n'en faut que cet exemple : Asinius Pollio trouvoit
és histoires mesme de Cæsar quelque mesconte, en quoy il estoit
tombé, pour n'avoir peu jetter les yeux en tous les endroits de son
armée, et en avoir creu les particuliers, qui luy rapportoient
souvent des choses non assez verifiées, ou bien pour n'avoir esté
assez curieusement adverty par ses Lieutenans des choses, qu'ils
avoient conduites en son absence. On peut voir par là, si ceste
recherche de la verité est delicate, qu'on ne se puisse pas fier
d'un combat à la science de celuy, qui y a commandé ; ny aux
soldats, de ce qui s'est passé pres d'eux, si à la mode d'une
information judiciaire, on ne confronte les tesmoins, et reçoit les
objects sur la preuve des ponctilles, de chaque accident. Vrayement
la connoissance que nous avons de nos affaires est bien plus
lasche. Mais cecy a esté suffisamment traicté par Bodin, et selon
ma conception.
    Pour subvenir un peu à la trahison de ma memoire, et à son
defaut, si extreme, qu'il m'est advenu plus d'une fois, de
reprendre en main des livres, comme recents, et à moy inconnus, que
j'avoy leu soigneusement quelques années au paravant, et barbouillé
de mes notes : j'ay pris en coustume dépuis quelque temps,
d'adjouster au bout de chasque livre (je dis de ceux desquels je ne
me veux servir qu'une fois) le temps auquel j'ay achevé de le lire,
et le jugement que j'en ay retiré en gros : à fin que cela me
represente au moins l'air et idée generale que j'avois conceu de
l'autheur en le lisant. Je veux icy transcrire aucunes de ces
annotations.
    Voicy ce que je mis il y a environ dix ans en mon Guicciardin
(car quelque langue que parlent mes livres, je leur parle en la
mienne.) Il est historiographe diligent, et duquel à mon advis,
autant exactement que de nul autre, on peut apprendre la verité des
affaires de son temps : aussi en la pluspart en a-il esté
acteur luy mesme, et en rang honnorable. Il n'y a aucune apparence
que par haine, faveur, ou vanité il ayt déguisé les choses :
dequoy font foy les libres jugemens qu'il donne des grands :
et notamment de ceux, par lesquels il avoit este avancé, et employé
aux charges, comme du Pape Clement septiesme. Quant à la partie
dequoy il semble se vouloir

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