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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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Ainsi, je ne me puis dire nul grand-mercy, dequoy
je me trouve exempt de plusieurs vices :
    si vitiis mediocribus, et mea
paucis
Mendosa est natura, alioqui recta, velut si
Egregio inspersos reprehendas corpore nævos
.
    Je le doy plus à ma fortune qu'à ma raison : Elle m'a faict
naistre d'une race fameuse en preud'hommie, et d'un tres-bon
pere : je ne sçay s'il a escoulé en moy partie de ses humeurs,
ou bien si les exemples domestiques, et la bonne institution de mon
enfance, y ont insensiblement aydé ; ou si je suis autrement
ainsi nay ;
    Seu libra, seu me scorpius
aspicit
Formidolosus, pars violentior
Natalis horæ, seu tyrannus
Hesperiæ Capricornus undæ
.
    Mais tant y a que la pluspart des vices je les ay de moy mesmes
en horreur. La responce d'Antisthenes à celuy, qui luy demandoit le
meilleur apprentissage : Desapprendre le mal : semble
s'arrester à cette image. Je les ay dis-je, en horreur, d'une
opinion si naturelle et si mienne, que ce mesme instinct et
impression, que j'en ay apporté de la nourrice, je l'ay conservé,
sans qu'aucunes occasions me l'ayent sçeu faire alterer. Voire non
pas mes discours propres, qui pour s'estre desbandez en aucunes
choses de la route commune, me licentieroyent aisément à des
actions, que cette naturelle inclination me fait haïr.
    Je diray un monstre : mais je le diray pourtant. Je trouve
par là en plusieurs choses plus d'arrest et de regle en mes moeurs
qu'en mon opinion : et ma concupiscence moins desbauchée que
ma raison.
    Aristippus establit des opinions si hardies en faveur de la
volupté et des richesses, qu'il mit en rumeur toute la philosophie
à l'encontre de luy. Mais quant à ses moeurs, Dionysius le tyran
luy ayant presenté trois belles garses, afin qu'il en fist le
chois : il respondit, qu'il les choisissoit toutes trois, et
qu'il avoit mal prins à Paris d'en preferer une à ses compagnes.
Mais les ayant conduittes à son logis, il les renvoya, sans en
taster. Son vallet se trouvant surchargé en chemin de l'argent
qu'il portoit apres luy : il luy ordonna qu'il en versast et
jettast là, ce qui luy faschoit.
    Et Epicurus, duquel les dogmes sont irreligieux et delicats, se
porta en sa vie tres-devotieusement et laborieusement. Il escrit à
un sien amy, qu'il ne vit que de pain bis et d'eaue ; le prie
de luy envoyer un peu de formage, pour quand il voudra faire
quelque somptueux repas. Seroit-il vray, que pour estre bon tout à
faict, il nous le faille estre par occulte, naturelle et
universelle proprieté, sans loy, sans raison, sans
exemple ?
    Les desbordemens ausquels je me suis trouvé engagé, ne sont pas
Dieu mercy des pires. Je les ay bien condamnez chez moy, selon
qu'ils le valent : car mon jugement ne s'est pas trouvé
infecté par eux. Au rebours, je les accuse plus rigoureusement en
moy, qu'en un autre. Mais c'est tout : car au demeurant j'y
apporte trop peu de resistance, et me laisse trop aisément pancher
à l'autre part de la balance, sauf pour les regler, et empescher du
meslange d'autres vices, lesquels s'entretiennent et
s'entre-enchainent pour la plus part les uns aux autres, qui ne
s'en prend garde. Les miens, je les ay retranchez et contrains les
plus seuls, et les plus simples que j'ay peu :
    nec ultra
Errorem foveo
.
    Car quant à l'opinion des Stoiciens, qui disent, le sage oeuvrer
quand il oeuvre par toutes les vertus ensemble, quoy qu'il y en ait
une plus apparente selon la nature de l'action : (et à cela
leur pourroit servir aucunement la similitude du corps
humain ; car l'action de la colere ne se peut exercer, que
toutes les humeurs ne nous y aydent, quoy que la colere predomine)
si de là ils veulent tirer pareille consequence ; que quand le
fautier faut, il faut par tous les vices ensemble, je ne les en
croy pas ainsi simplement ; ou je ne les entend pas : car
je sens par effect le contraire. Ce sont subtilitez aiguës,
insubstantielles, ausquelles la philosophie s'arreste par fois.
    Je suy quelques vices : mais j'en fuy d'autres, autant que
sçauroit faire un sainct.
    Aussi desadvoüent les Peripateticiens, cette connexité et
cousture indissoluble : et tient Aristote, qu'un homme prudent
et juste, peut estre et intemperant et incontinant.
    Socrates advoüoit à ceux qui recognoissoient en sa physionomie
quelque inclination au vice, que c'estoit à la verité sa propension
naturelle, mais qu'il l'avoit corrigée par discipline.
    Et les familiers du philosophe Stilpo disoient, qu'estant

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