Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
Vom Netzwerk:
il n'y a guere que la matiere à
representer : mais ceux qui ont donné beaucoup à la grace, et
à l'elegance du langage, ils sont dangereux à entreprendre,
nommément pour les rapporter à un idiome plus foible. C'estoit une
occupation bien estrange et nouvelle pour moy : mais estant de
fortune pour lors de loisir, et ne pouvant rien refuser au
commandement du meilleur pere qui fut onques, j'en vins à bout,
comme je peuz : à quoy il print un singulier plaisir, et donna
charge qu'on le fist imprimer : ce qui fut executé apres sa
mort.
    Je trouvay belles les imaginations de cet autheur, la contexture
de son ouvrage bien suyvie ; et son dessein plein de pieté.
Par ce que beaucoup de gens s'amusent à le lire, et notamment les
dames, à qui nous devons plus de service, je me suis trouvé souvent
à mesme de les secourir, pour descharger leur livre de deux
principales objections qu'on luy faict. Sa fin est hardie et
courageuse, car il entreprend par raisons humaines et naturelles,
establir et verifier contre les atheistes tous les articles de la
religion Chrestienne. En quoy, à dire la verité, je le trouve si
ferme et si heureux, que je ne pense point qu'il soit possible de
mieux faire en cet argument là ; et croy que nul ne l'a
esgalé : Cet ouvrage me semblant trop riche et trop beau, pour
un autheur, duquel le nom soit si peu cogneu, et duquel tout ce que
nous sçavons, c'est qu'il estoit Espagnol, faisant profession de
Medecine à Thoulouse, il y a environ deux cens ans ; je
m'enquis autrefois à Adrianus Turnebus, qui sçavoit toutes choses,
que ce pouvoit estre de ce livre : il me respondit, qu'il
pensoit que ce fust quelque quinte essence tirée de S. Thomas
d'Aquin : car de vray cet esprit là, plein d'une erudition
infinie et d'une subtilité admirable, estoit seul capable de telles
imaginations. Tant y a que quiconque en soit l'autheur et inventeur
(et ce n'est pas raison d'oster sans plus grande occasion à Sebonde
ce tiltre) c'estoit un tres-suffisant homme, et ayant plusieurs
belles parties.
    La premiere reprehension qu'on fait de son ouvrage ; c'est
que les Chrestiens se font tort de vouloir appuyer leur creance,
par des raisons humaines, qui ne se conçoit que par foy, et par une
inspiration particuliere de la grace divine. En cette objection, il
semble qu'il y ait quelque zele de pieté : et à cette cause
nous faut-il avec autant plus de douceur et de respect essayer de
satisfaire à ceux qui la mettent en avant. Ce seroit mieux la
charge d'un homme versé en la Theologie, que de moy, qui n'y sçay
rien.
    Toutefois je juge ainsi, qu'à une chose si divine et si
haultaine, et surpassant de si loing l'humaine intelligence, comme
est cette verité, de laquelle il a pleu à la bonté de Dieu nous
esclairer, il est bien besoin qu'il nous preste encore son secours,
d'une faveur extraordinaire et privilegiée, pour la pouvoir
concevoir et loger en nous : et ne croy pas que les moyens
purement humains en soyent aucunement capables. Et s'ils
l'estoient, tant d'ames rares et excellentes, et si abondamment
garnies de forces naturelles és siecles anciens, n'eussent pas
failly par leur discours, d'arriver à cette cognoissance. C'est la
foy seule qui embrasse vivement et certainement les hauts mysteres
de nostre Religion. Mais ce n'est pas à dire, que ce ne soit une
tresbelle et treslouable entreprinse, d'accommoder encore au
service de nostre foy, les utils naturels et humains, que Dieu nous
a donnez. Il ne fault pas doubter que ce ne soit l'usage le plus
honorable, que nous leur sçaurions donner : et qu'il n'est
occupation ny dessein plus digne d'un homme Chrestien, que de viser
par tous ses estudes et pensemens à embellir, estendre et amplifier
la verité de sa creance. Nous ne nous contentons point de servir
Dieu d'esprit et d'ame : nous luy devons encore, et rendons
une reverence corporelle : nous appliquons noz membres mesmes,
et noz mouvements et les choses externes à l'honorer. Il en faut
faire de mesme, et accompaigner nostre foy de toute la raison qui
est en nous : mais tousjours avec cette reservation, de
n'estimer pas que ce soit de nous qu'elle despende, ny que nos
efforts et arguments puissent atteindre à une si supernaturelle et
divine science.
    Si elle n'entre chez nous par une infusion extraordinaire :
si elle y entre non seulement par discours, mais encore par moyens
humains, elle n'y est pas en sa dignité ny en sa splendeur. Et
certes je crain pourtant que nous ne

Weitere Kostenlose Bücher