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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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aucuns de ses disciples à la mort, pour jouïr
plus promptement des esperances qu'il leur donnoit.
    Tout cela c'est un signe tres-evident que nous ne recevons
nostre religion qu'à nostre façon et par nos mains, et non
autrement que comme les autres religions se reçoivent. Nous nous
sommes rencontrez au pays, ou elle estoit en usage, où nous
regardons son ancienneté, ou l'authorité des hommes qui l'ont
maintenuë, où craignons les menaces qu'elle attache aux mescreans,
où suyvons ses promesses. Ces considerations là doivent estre
employées à nostre creance, mais comme subsidiaires : ce sont
liaisons humaines. Une autre region, d'autres tesmoings, pareilles
promesses et menasses, nous pourroyent imprimer par mesme voye une
creance contraire.
    Nous sommes Chrestiens à mesme tiltre que nous sommes ou
Perigordins ou Alemans.
    Et ce que dit Plato, qu'il est peu d'hommes si fermes en
l'atheïsme, qu'un danger pressant ne ramene à la recognoissance de
la divine puissance : Ce rolle ne touche point un vray
Chrestien : C'est à faire aux religions mortelles et humaines,
d'estre receuës par une humaine conduite. Quelle foy doit ce estre,
que la lascheté et la foiblesse de coeur plantent en nous et
establissent ? Plaisante foy, qui ne croid ce qu'elle croid,
que pour n'avoir le courage de le descroire. Une vitieuse passion,
comme celle de l'inconstance et de l'estonnement, peut elle faire
en nostre ame aucune production reglée ?
    Ils establissent, dit-il, par la raison de leur jugement, que ce
qui se recite des enfers, et des peines futures est feint, mais
l'occasion de l'experimenter s'offrant lors que la vieillesse ou
les maladies les approchent de leur mort : la terreur d'icelle
les remplit d'une nouvelle creance, par l'horreur de leur condition
à venir. Et par ce que telles impressions rendent les courages
craintifs, il defend en ses loix toute instruction de telles
menaces, et la persuasion que des Dieux il puisse venir à l'homme
aucun mal, sinon pour son plus grand bien quand il y eschoit, et
pour un medecinal effect. Ils recitent de Bion, qu'infect des
atheïsmes de Theodorus, il avoit esté long temps se moquant des
hommes religieux : mais la mort le surprenant, qu'il se rendit
aux plus extremes superstitions : comme si les Dieux
s'ostoyent et se remettoyent selon l'affaire de Bion.
    Platon, et ces exemples, veulent conclurre, que nous sommes
ramenez à la creance de Dieu, ou par raison, ou par force.
L'Atheïsme estant une proposition, comme desnaturée et monstrueuse,
difficile aussi, et malaisée d'establir en l'esprit humain, pour
insolent et desreglé qu'il puisse estre : il s'en est veu
assez, par vanité et par fierté de concevoir des opinions non
vulgaires, et reformatrices du monde, en affecter la profession par
contenance : qui, s'ils sont assez fols, ne sont pas assez
forts, pour l'avoir plantée en leur conscience. Pourtant ils ne
lairront de joindre leurs mains vers le ciel, si vous leur attachez
un bon coup d'espée en la poitrine : et quand la crainte ou la
maladie aura abatu et appesanti ceste licentieuse ferveur d'humeur
volage, ils ne lairront pas de se revenir, et se laisser tout
discretement manier aux creances et exemples publiques. Autre chose
est, un dogme serieusement digeré, autre chose ces impressions
superficielles : lesquelles nées de la desbauche d'un esprit
desmanché, vont nageant temerairement et incertainement en la
fantasie. Hommes bien miserables et escervellez, qui taschent
d'estre pires qu'ils ne peuvent !
    L'erreur du paganisme, et l'ignorance de nostre saincte verité,
laissa tomber ceste grande ame : mais grande d'humaine
grandeur seulement, encores en cet autre voisin abus, que les
enfans et les vieillars se trouvent plus susceptibles de religion,
comme si elle naissoit et tiroit son credit de nostre
imbecillité.
    Le neud qui devroit attacher nostre jugement et nostre volonté,
qui devroit estreindre nostre ame et joindre à nostre Createur, ce
devroit estre un neud prenant ses repliz et ses forces, non pas de
noz considerations, de noz raisons et passions, mais d'une
estreinte divine et supernaturelle, n'ayant qu'une forme, un
visage, et un lustre, qui est l'authorité de Dieu et sa grace. Or
nostre coeur et nostre ame estant regie et commandée par la foy,
c'est raison qu'elle tire au service de son dessein toutes nos
autres pieces selon leur portée. Aussi n'est-il pas croyable, que
toute ceste machine n'ait quelques merques empreintes de la

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