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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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cet
accouplage.
    Mais pauvret qu'a il en soy digne d'un tel avantage ? A
considerer ceste vie incorruptible des corps celestes, leur beauté,
leur grandeur, leur agitation continuée d'une si juste
regle :
    Cum suspicimus magni coelestia
mundi
Templa super, stellisque micantibus Æthera fixum,
Et venit in mentem Lunæ Solisque viarum :
    A considerer la domination et puissance que ces corps là ont,
non seulement sur nos vies et conditions de nostre fortune,
    Facta etenim et vitas hominum
suspendit ab astris :
    mais sur nos inclinations mesmes, nos discours, nos
volontez : qu'ils regissent, poussent et agitent à la mercy de
leurs influances, selon que nostre raison nous l'apprend et le
trouve :
    speculatáque longè
Deprendit tacitis dominantia legibus astra,
Et totum alterna mundum ratione moveri,
Fatorúmque vices certis discernere signis.
    A voir que non un homme seul, non un Roy, mais les monarchies,
les empires, et tout ce bas monde se meut au branle des moindres
mouvemens celestes :
    Quantáque quàm parvi faciant
discrimina motus :
Tantum est hoc regnum quod regibus imperat ipsis :
    si nostre vertu, nos vices, nostre suffisance et science, et ce
mesme discours que nous faisons de la force des astres, et ceste
comparaison d'eux à nous, elle vient, comme juge nostre raison, par
leur moyen et de leur faveur :
    furit alter amore,
Et pontum tranare potest et vertere Trojam,
Alterius sors est scribendis legibus apta,
Ecce patrem nati perimunt, natosque parentes,
Mutuáque armati coeunt in vulnera fratres,
Non nostrum hoc bellum est, coguntur tanta movere,
Inque suas ferri poenas, lacerandáque membra,
Hoc quoque fatale est sic ipsum expendere fatum.
    si nous tenons de la distribution du ciel ceste part de raison
que nous avons, comment nous pourra elle esgaler à luy ?
comment soubs-mettre à nostre science son essence et ses
conditions ? Tout ce que nous voyons en ces corps là, nous
estonne ;
quæ molitio, quæ ferramenta, qui vectes, quæ
machinæ, qui ministri tanti operis fuerunt ?
pourquoy les
privons nous et d'ame, et de vie, et de discours ? y avons
nous recognu quelque stupidité immobile et insensible, nous qui
n'avons aucun commerce avec eux que d'obeïssance ? Dirons
nous, que nous n'avons veu en nulle autre creature, qu'en l'homme,
l'usage d'une ame raisonnable ? Et quoy ? Avons nousveu
quelque chose semblable au soleil ? Laisse-il d'estre, par ce
que nous n'avons rien veu de semblable ? et ses mouvements
d'estre, par ce qu'il n'en est point de pareils ? Si ce que
nous n'avons pas veu, n'est pas, nostre science est
merveilleusement raccourcie.
Quæ sunt tantæ animi
angustiæ ?
Sont ce pas des songes de l'humaine vanité, de
faire de la Lune une terre celeste ? y deviner des montaignes,
des vallées, comme Anaxagoras ? y planter des habitations et
demeures humaines, et y dresser des colonies pour nostre commodité,
comme faict Platon et Plutarque ? et de nostre terre en faire
un astre esclairant et lumineux ?
Inter cætera
mortalitatis incommoda, et hoc est, caligo mentium : nec
tantum necessitas errandi, sed errorum amor. Corruptibile corpus
aggravat animam, et deprimit terrena inhabitatio sensum multa
cogitantem
.
    La presomption est nostre maladie naturelle et originelle. La
plus calamiteuse et fragile de toutes les creatures c'est l'homme,
et quant et quant, la plus orgueilleuse. Elle se sent et se void
logée icy parmy la bourbe et le fient du monde, attachée et cloüée
à la pire, plus morte et croupie partie de l'univers, au dernier
estage du logis, et le plus esloigné de la voute celeste, avec les
animaux de la pire condition des trois : et se va plantant par
imagination au dessus du cercle de la Lune, et ramenant le ciel
soubs ses pieds. C'est par la vanité de ceste mesme imagination
qu'il s'egale à Dieu, qu'il s'attribue les conditions divines,
qu'il se trie soy-mesme et separe de la presse des autres
creatures, taille les parts aux animaux ses confreres et
compagnons, et leur distribue telle portion de facultez et de
forces, que bon luy semble. Comment cognoist il par l'effort de son
intelligence, les branles internes et secrets des animaux ?
par quelle comparaison d'eux à nous conclud il la bestise qu'il
leur attribue ?
    Quand je me jouë à ma chatte, qui sçait, si elle passe son temps
de moy plus que je ne fay d'elle ? Nous nous entretenons de
singeries reciproques. Si j'ay mon heure de commencer ou de
refuser, aussi à elle la sienne. Platon en sa

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