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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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seule qu'appartient la science et la
sapience : elle seule qui peut estimer de soy quelque chose,
et à qui nous desrobons ce que nous nous contons, et ce que nous
nous prisons.
    Ού γὰρ ἐᾱ φρονεῑν ὁ Θεὸϛ μέγα ἄλλον ἢ
ἑαυτόν.
    Abbattons ce cuider, premier fondement de la tyrannie du maling
esprit.
Deus superbis resistit : humilibus autem dat
gratiam
. L'intelligence est en touts les Dieux, dit Platon, et
point ou peu aux hommes.
    Or c'est cependant beaucoup de consolation à l'homme Chrestien,
de voir nos utils mortels et caduques, si proprement assortis à
nostre foy saincte et divine : que lors qu'on les employe aux
sujects de leur nature mortels et caduques, ils n'y soyent pas
appropriez plus uniement, ny avec plus de force. Voyons donq si
l'homme a en sa puissance d'autres raisons plus fortes que celles
de Sebonde : voire s'il est en luy d'arriver à aucune
certitude par argument et par discours.
    Car sainct Augustin plaidant contre ces gents icy, a occasion de
reprocher leur injustice, en ce qu'ils tiennent les parties de
nostre creance fauces, que nostre raison faut à establir. Et pour
monstrer qu'assez de choses peuvent estre et avoir esté, desquelles
nostre discours ne sçauroit fonder la nature et les causes :
il leur met en avant certaines experiences cognuës et indubitables,
ausquelles l'homme confesse rien ne veoir. Et cela faict il, comme
toutes autres choses, d'une curieuse et ingenieuse recherche. Il
faut plus faire, et leur apprendre, que pour convaincre la
foiblesse de leur raison, il n'est besoing d'aller triant des rares
exemples : et qu'elle est si manque et si aveugle, qu'il n'y a
nulle si claire facilité, qui luy soit assez claire : que
l'aizé et le malaisé luy sont un : que tous subjects
egalement, et la nature en general desadvouë sa jurisdiction et
entremise.
    Que nous presche la verité, quand elle nous presche de fuir la
mondaine philosophie : quand elle nous inculque si souvent,
que nostre sagesse n'est que folie devant Dieu : que de toutes
les vanitez la plus vaine c'est l'homme : que l'homme qui
presume de son sçavoir, ne sçait pas encore que c'est que
sçavoir : et que l'homme, qui n'est rien, s'il pense estre
quelque chose, se seduit soy-mesmes, et se trompe ? Ces
sentences du sainct Esprit expriment si clairement et si vivement
ce que je veux maintenir, qu'il ne me faudroit aucune autre preuve
contre des gens qui se rendroient avec toute submission et
obeyssance à son authorité. Mais ceux cy veulent estre fouëtez à
leurs propres despens, et ne veulent souffrir qu'on combatte leur
raison que par elle mesme.
    Considerons donq pour ceste heure, l'homme seul, sans secours
estranger, armé seulement de ses armes, et despourveu de la grace
et cognoissance divine, qui est tout son honneur, sa force, et le
fondement de son estre. Voyons combien il a de tenuë en ce bel
equipage. Qu'il me face entendre par l'effort de son discours, sur
quels fondemens il a basty ces grands avantages, qu'il pense avoir
sur les autres creatures. Qui luy a persuadé que ce branle
admirable de la voute celeste, la lumiere eternelle de ces
flambeaux roulans si fierement sur sa teste, les mouvemens
espouventables de ceste mer infinie, soyent establis et se
continuent tant de siecles, pour sa commodité et pour son
service ? Est-il possible de rien imaginer si ridicule, que
ceste miserable et chetive creature, qui n'est pas seulement
maistresse de soy, exposée aux offences de toutes choses, se die
maistresse et emperiere de l'univers ? duquel il n'est pas en
sa puissance de cognoistre la moindre partie, tant s'en faut de la
commander. Et ce privilege qu'il s'attribuë d'estre seul en ce
grand bastiment, qui ayt la suffisance d'en recognoistre la beauté
et les pieces, seul qui en puisse rendre graces à l'architecte, et
tenir conte de la recepte et mises du monde : qui luy a seelé
ce privilege ? qu'il nous montre lettres de ceste belle et
grande charge.
    Ont elles esté ottroyées en faveur des sages seulement ?
Elles ne touchent guere de gents. Les fols et les meschants
sont-ils dignes de faveur si extraordinaire ? et estants la
pire piece du monde, d'estre preferez à tout le reste ?
    En croirons nous cestuy-la ;
Quorum igitur causa quis
dixerit effectum esse mundum ? Eorum scilicet animantium, quæ
ratione utuntur. Hi sunt dii et homines, quibus profectó nihil est
melius
. Nous n'aurons jamais assez bafoüé l'impudence de

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