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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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beauté delicate et cachée : il faut
la veuë nette et bien purgée, pour descouvrir cette secrette
lumiere. Est pas, la naïfveté, selon nous, germaine à la sottise,
et qualité de reproche ? Socrates faict mouvoir son ame, d'un
mouvement naturel et commun : Ainsi dict un païsan, ainsi dict
une femme : Il n'a jamais en la bouche, que cochers,
menuisiers, savetiers et maisons. Ce sont inductions et
similitudes, tirées des plus vulgaires et cogneuës actions des
hommes : chacun l'entend. Sous une si vile forme, nous
n'eussions jamais choisi la noblesse et splendeur de ses
conceptions admirables : Nous qui estimons plates et basses,
toutes celles que la doctrine ne releve ; qui n'appercevons la
richesse qu'en montre et en pompe. Nostre monde n'est formé qu'à
l'ostentation. Les hommes ne s'enflent que de vent : et se
manient à bonds, comme les balons. Cettuy-cy ne se propose point
des vaines fantasies. Sa fin fut, nous fournir de choses et de
preceptes, qui reellement et plus joinctement servent à la
vie :
    servare modum, finemque tenere,
Naturámque sequi
.
    Il fut aussi tousjours un et pareil. Et se monta, non par
boutades, mais par complexion, au dernier poinct de vigueur. Ou
pour mieux dire : il ne monta rien, mais ravala plustost et
ramena à son poinct, originel et naturel, et luy soubmit la
vigueur, les aspretez et les difficultez. Car en Caton, on void
bien à clair, que c'est une alleure tenduë bien loing au dessus des
communes : Aux braves exploits de sa vie, et en sa mort, on le
sent tousjours monté sur ses grands chevaux. Cettuy-cy ralle à
terre : et d'un pas mol et ordinaire, traicte les plus utiles
discours, et se conduict et à la mort et aux plus espineuses
traverses, qui se puissent presenter au train de la vie
humaine.
    Il est bien advenu, que le plus digne homme d'estre cogneu, et
d'estre presenté au monde pour exemple, ce soit celuy duquel nous
ayons plus certaine cognoissance. Il a esté esclairé par les plus
clair-voyans hommes, qui furent onques : Les tesmoins que nous
avons de luy, sont admirables en fidelité et en suffisance.
    C'est grand cas, d'avoir peu donner tel ordre, aux pures
imaginations d'un enfant, que sans les alterer ou estirer, il en
ait produict les plus beaux effects de nostre ame. Il ne la
represente ny eslevée ni riche : il ne la represente que
saine : mais certes d'une bien allegre et nette santé. Par ces
vulguaires ressorts et naturels : par ces fantasies ordinaires
et communes : sans s'esmouvoir et sans se piquer, il dressa
non seulement les plus reglées, mais les plus hautes et vigoureuses
creances, actions et moeurs, qui furent onques. C'est luy, qui
ramena du ciel, où elle perdoit son temps, la sagesse humaine, pour
la rendre à l'homme : où est sa plus juste et plus laborieuse
besoigne. Voyez-le plaider devant ses juges : voyez par
quelles raisons, il esveille son courage aux hazards de la guerre,
quels argumens fortifient sa patience, contre la calomnie, la
tyrannie, la mort, et contre la teste de sa femme : il n'y a
rien d'emprunté de l'art, et des sciences. Les plus simples y
recognoissent leurs moyens et leur force : il n'est possible
d'aller plus arriere et plus bas. Il a faict grand faveur à
l'humaine nature, de montrer combien elle peut d'elle mesme.
    Nous sommes chacun plus riche, que nous ne pensons : mais
on nous dresse à l'emprunt, et à la queste : on nous duict à
nous servir plus de l'autruy, que du nostre. En aucune chose
l'homme ne sçait s'arrester au poinct de son besoing. De volupté,
de richesse, de puissance, il en embrasse plus qu'il n'en peut
estreindre. Son avidité est incapable de moderation. Je trouve
qu'en curiosité de sçavoir, il en est de mesme : il se taille
de la besoigne bien plus qu'il n'en peut faire, et bien plus qu'il
n'en à affaire. Estendant l'utilité du sçavoir, autant qu'est sa
matiere.
Ut omnium rerum, sic literarum quoque intemperantia
laboramus
. Et Tacitus a raison, de louer la mere d'Agricola,
d'avoir bridé en son fils, un appetit trop bouillant de science.
C'est un bien, à le regarder d'yeux fermes, qui a, comme les autres
biens des hommes, beaucoup de vanité, et foiblesse propre et
naturelle : et d'un cher coust.
    L'acquisition en est bien plus hazardeuse, que de toute autre
viande ou boisson. Car ailleurs, ce que nous avons achetté, nous
l'emportons au logis, en quelque vaisseau, et là nous avons loy
d'en examiner la valeur : combien, et à quelle heure, nous

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