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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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autres, n'est en son
point, que confuse avec la leur, puerile et imberbe. On dit que
chez le grand Seigneur, ceux qui le servent sous titre de beauté,
qui sont en nombre infini, ont leur congé, au plus loing, à vingt
et deux ans.
    Les discours, la prudence, et les offices d'amitié, se trouvent
mieux chez les hommes : pourtant gouvernent-ils les affaires
du monde.
    Ces deux commerces sont fortuites, et despendans d'autruy :
l'un est ennuyeux par sa rareté, l'autre se flestrit avec
l'aage : ainsin ils n'eussent pas assez prouveu au besoing de
ma vie. Celuy des livres, qui est le troisiesme ; est bien
plus seur et plus à nous. Il cede aux premiers, les autres
advantages : mais il a pour sa part la constance et facilité
de son service : Cettuy-cy costoye tout mon cours, et
m'assiste par tout : il me console en la vieillesse et en la
solitude : il me descharge du poix d'une oisiveté
ennuyeuse : et me deffait à toute heure des compagnies qui me
faschent : il emousse les pointures de la douleur, si elle
n'est du tout extreme et maistresse : Pour me distraire d'une
imagination importune, il n'est que de recourir aux livres, ils me
destournent facilement à eux, et me la desrobent : Et si ne se
mutinent point, pour voir que je ne les recherche, qu'au deffaut de
ces autres commoditez, plus reelles, vives et naturelles : ils
me reçoivent tousjours de mesme visage.
    Il a bel aller à pied, dit-on, qui meine son cheval par la
bride : Et nostre Jacques Roy de Naples, et de Sicile, qui
beau, jeune, et sain, se faisoit porter par pays en civiere, couché
sur un meschant oriller de plume, vestu d'une robe de drap gris, et
un bonnet de mesme : suivy ce pendant d'une grande pompe
royalle, lictieres, chevaux à main de toutes sortes, gentils-hommes
et officiers : representoit une austerité tendre encores et
chancellante. Le malade n'est pas à plaindre, qui a la guarison en
sa manche. En l'experience et usage de cette sentence, qui est
tres-veritable, consiste tout le fruict que je tire des livres. Je
ne m'en sers en effect, quasi non plus que ceux qui ne les
cognoissent poinct : J'en jouys, comme les avaritieux des
tresors, pour sçavoir que j'en jouyray quand il me plaira :
mon ame se rassasie et contente de ce droict de possession. Je ne
voyage sans livres, ny en paix, ny en guerre. Toutesfois il se
passera plusieurs jours, et des mois, sans que je les
employe : Ce sera tantost, dis-je, ou demain, ou quand il me
plaira : le temps court et s'en va ce pendant sans me blesser.
Car il ne se peut dire, combien je me repose et sejourne en cette
consideration, qu'ils sont à mon costé pour me donner du plaisir à
mon heure : et à reconnoistre, combien ils portent de secours
à ma vie : C'est la meilleure munition que j'aye trouvé à cet
humain voyage : et plains extremement les hommes
d'entendement, qui l'ont à dire. J'accepte plustost toute autre
sorte d'amusement, pour leger qu'il soit : d'autant que
cettuy-cy ne me peut faillir.
    Chez moy, je me destourne un peu plus souvent à ma librairie,
d'où, tout d'une main, je commande mon mesnage : Je suis sur
l'entree ; et vois soubs moy, mon jardin, ma basse cour, ma
cour, et dans la plus part des membres de ma maison. Là je
feuillette à cette heure un livre, a cette heure un autre, sans
ordre et sans dessein, à pieces descousues : Tantost je resve,
tantost j'enregistre et dicte, en me promenant, mes songes que
voicy.
    Elle est au troisiesme estage d'une tour. Le premier, c'est ma
chapelle, le second une chambre et sa suitte, où je me couche
souvent, pour estre seul. Au dessus, elle a une grande garderobe.
C'estoit au temps passé, le lieu plus inutile de ma maison. Je
passe là et la plus part des jours de ma vie, et la plus part des
heures du jour. Je n'y suis jamais la nuict. A sa suitte est un
cabinet assez poly, capable à recevoir du feu pour l'hyver,
tres-plaisamment percé. Et si je ne craignoy non plus le soing que
la despense, le soing qui me chasse de toute besongne : j'y
pourroy facilement coudre à chasque costé une gallerie de cent pas
de long, et douze de large, à plein pied : ayant trouvé tous
les murs montez, pour autre usage, à la hauteur qu'il me faut. Tout
lieu retiré requiert un proumenoir. Mes pensees dorment, si je les
assis. Mon esprit ne va pas seul, comme si les jambes l'agitent.
Ceux qui estudient sans livre, en sont tous là.
    La figure en est ronde, et n'a de plat, que ce qu'il faut à ma
table et à mon siege :

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