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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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leurs
escadrons, pour les rompre et y faire jour : Outre le secours
qu'ils en pouvoient prendre, pour flanquer en lieu chatouilleux,
les trouppes marchants en la campagne : ou à couvrir un logis
à la haste, et le fortifier. De mon temps, un gentil-homme, en
l'une de nos frontieres, impost de sa personne, et ne trouvant
cheval capable de son poids, ayant une querelle, marchoit par païs
en coche, de mesme cette peinture, et s'en trouvoit tres-bien. Mais
laissons ces coches guerriers. Comme si leur neantise n'estoit
assez cognue à meilleures enseignes, les derniers Roys de nostre
premiere race marchoient par païs en un chariot mené de quatre
boeufs.
    Marc Antoine fut le premier, qui se fit trainer à Rome, et une
garse menestriere quand et luy, par des lyons attelez à un coche.
Heliogabalus en fit dépuis autant, se disant Cibelé la mere des
Dieux : et aussi par des tigres, contrefaisant le Dieu
Bacchus : il attela aussi par fois deux cerfs à son
coche : et une autrefois quatre chiens : et encore quatre
garses nues, se faisant trainer par elles, en pompe, tout nud.
L'Empereur Firmus fit mener son coche, à des Autruches de
merveilleuse grandeur, de maniere qu'il sembloit plus voler que
rouler. L'estrangeté de ces inventions, me met en teste cett'autre
fantasie : Que c'est une espece de pusillanimité, aux
monarques, et un tesmoignage de ne sentir point assez, ce qu'ils
sont, de travailler à se faire valloir et paroistre, par despences
excessives. Ce seroit chose excusable en pays estranger : mais
parmy ses subjects, où il peut tout, il tire de sa dignité, le plus
extreme degré d'honneur, où il puisse arriver. Comme à un
gentil-homme, il me semble, qu'il est superflu de se vestir
curieusement en son privé : sa maison, son train, sa cuysine
respondent assez de luy.
    Le conseil qu'Isocrates donne à son Roy, ne me semble sans
raison : Qu'il soit splendide en meubles et utensiles :
d'autant que c'est une despense de duree, qui passe jusques à ses
successeurs : Et qu'il fuye toutes magnificences, qui
s'escoulent incontinent et de l'usage et de la memoire.
    J'aymois à me parer quand j'estoy cadet, à faute d'autre
parure : et me seoit bien : Il en est sur qui les belles
robes pleurent Nous avons des comtes merveilleux de la frugalité de
nos Roys au tour de leurs personnes, et en leurs dons : grands
Roys en credit, en valeur, et en fortune. Demosthenes combat à
outrance, la loy de sa ville, qui assignoit les deniers publics aux
pompes des jeux, et de leurs festes : Il veut que leur
grandeur se montre, en quantité de vaisseaux bien equippez, et
bonnes armees bien fournies.
    Et a lon raison d'accuser Theophrastus, qui establit en son
livre
Des richesses
, un advis contraire : et
maintient telle nature de despense, estre le vray fruit de
l'opulence. Ce sont plaisirs, dit Aristote, qui ne touchent que la
plus basse commune : qui s'evanouissent de la souvenance aussi
tost qu'on en est rassasié : et desquels nul homme judicieux
et grave ne peut faire estime. L'emploitte me sembleroit bien plus
royale, comme plus utile, juste et durable, en ports, en haures,
fortifications et murs : en bastiment sumptueux, en Eglises,
hospitaux, colleges, reformation de ruës et chemins : en quoy
le Pape Gregoire treziesme lairra sa memoire recommandable à long
temps : et en quoy nostre Royne Catherine tesmoigneroit à
longues annees sa liberalité naturelle et munificence, si ses
moyens suffisoient à son affection. La fortune m'a faict grand
desplaisir d'interrompre la belle structure du Pont neuf, de nostre
grand'ville, et m'oster l'espoir avant mourir d'en veoir en train
le service.
    Outre ce, il semble aux subjects spectateurs de ces triomphes,
qu'on leur fait montre de leurs propres richesses, et qu'on les
festoye à leurs despens. Car les peuples presument volontiers des
Roys, comme nous faisons de nos valets : qu'ils doivent
prendre soing de nous apprester en abondance tout ce qu'il nous
faut, mais qu'ils n'y doivent aucunement toucher de leur part. Et
pourtant L'Empereur Galba, ayant pris plaisir à un musicien pendant
son souper, se fit porter sa boëte, et luy donna en sa main une
poignee d'escus, qu'il y pescha, avec ces paroles : Ce n'est
pas du public, c'est du mien. Tant y a, qu'il advient le plus
souvent, que le peuple a raison : et qu'on repaist ses yeux,
de ce dequoy il avoit à paistre son ventre. La liberalité mesme
n'est pas bien en son lustre en main souveraine : les privez

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