Les Essais
qu'il
pourchassoit : Mon amy, le hameçon ne mord pas à du fromage si
frais.
Or c'est un commerce qui a besoin de relation et de
correspondance : Les autres plaisirs que nous recevons, se
peuvent recognoistre par recompenses de nature diverse : mais
cettuy-cy ne se paye que de mesme espece de monnoye. En verité en
ce desduit, le plaisir que je fay, chatouille plus doucement mon
imagination, que celuy qu'on me fait. Or cil n'a rien de genereux,
qui peut recevoir plaisir où il n'en donne point : c'est une
vile ame, qui veut tout devoir, et qui se plaist de nourrir de la
conference, avec les personnes ausquels il est en charge. Il n'y a
beauté, ny grace, ny privauté si exquise, qu'un galant homme deust
desirer à ce prix. Si elles ne nous peuvent faire du bien que par
pitié : j'ayme bien plus cher ne vivre point, que de vivre
d'aumosne. Je voudrois avoir droit de le leur demander, au stile
auquel j'ay veu quester en Italie : Fate ben per voi : ou
à la guise que Cyrus exhortoit ses soldats, Qui m'aymera, si me
suive.
R'alliez vous, me dira lon, à celles de vostre condition, que la
compagnie de mesme fortune vous rendra plus aysees. O la sotte
composition et insipide !
nolo
Barbam vellere mortuo leoni
.
Xenophon employe pour objection et accusation, contre Menon,
qu'en son amour il embesongna des objects passants fleur. Je trouve
plus de volupté à seulement veoir le juste et doux meslange de deux
jeunes beautés : ou à le seulement considerer par fantasie,
qu'à faire moy mesme le second, d'un meslange triste et informe. Je
resigne cet appetit fantastique, à l'Empereur Galba, qui ne
s'addonnoit qu'aux chairs dures et vieilles : Et à ce pauvre
miserable,
O ego di faciant talem te cernere
possim,
Charáque mutatis oscula ferre comis,
Amplectique meis corpus non pingue lacertis !
Et entre les premieres laideurs, je compte les beautez
artificielles et forcees. Emonez jeune gars de Chio, pensant par
des beaux attours, acquerir la beauté que nature luy ostoit, se
presenta au philosophe Arcesilaus : et luy demanda, si un sage
se pourroit veoir amoureux : Ouy dea, respondit l'autre,
pourveu que ce ne fust pas d'une beauté paree et sophistiquee comme
la tienne. La laideur d'une vieillesse advouee, est moins vieille,
et moins laide à mon gré, qu'une autre peinte et lissee.
Le diray-je, pourveu qu'on ne m'en prenne à la gorge ?
L'amour ne me semble proprement et naturellement en sa saison,
qu'en l'aage voisin de l'enfance :
Quem si puellarum insereres choro,
Mille sagaces falleret hospites,
Discrimen obscurum, solutis
Crinibus, ambiguóque vultu
.
Et la beauté non plus.
Car ce qu'Homere l'estend jusqu'à ce que le menton commence à
s'ombrager, Platon mesme l'a remarqué pour rare. Et est notoire la
cause pour laquelle le sophiste Dion appelloit les poils folets de
l'adolescence, Aristogitons et Harmodiens. En la virilité, je le
trouve desja aucunement hors de son siege, non qu'en la
vieillesse.
Importunus enim transvolat aridas
Quercus
.
Et Marguerite royne de Navarre, alonge en femme, bien loing,
l'avantage des femmes : ordonnant qu'il est saison à trente
ans, qu'elles changent le titre de belles en bonnes.
Plus courte possession nous luy donnons sur nostre vie, mieux
nous en valons. Voyez son port. C'est un menton puerile, qui ne
sçait en son eschole, combien on procede au rebours de tout
ordre : L'estude, l'exercitation, l'usage, sont voyes à
l'insuffisance : les novices y regentent.
Amor ordinem
nescit
. Certes sa conduicte a plus de galbe, quand elle est
meslee d'inadvertance, et de trouble : les fautes, les succez
contraires, y donnent poincte et grace : Pourveu qu'elle soit
aspre et affamee, il chaut peu, qu'elle soit prudente. Voyez comme
il va chancelant, chopant, et folastrant : On le met aux ceps,
quand on le guide par art, et sagesse : Et contraint on sa
divine liberté, quand on le submet à ces mains barbues et
calleuses.
Au demeurant, je leur oy souvent peindre cette intelligence
toute spirituelle, et desdaigner de mettre en consideration
l'interest que les sens y ont. Tout y sert : Mais je puis dire
avoir veu souvent, que nous avons excusé la foiblesse de leurs
esprits, en faveur de leurs beautez corporelles, mais que je n'ay
point encore veu, qu'en faveur de la beauté de l'esprit, tant
rassis, et meur soit-il, elles vueillent prester la main à un
corps, qui tombe tant soit peu en decadence. Que ne prend il envie
à quelqu'une, de faire cette noble harde
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