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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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duree de nostre estat : d'autant que
naturellement, rien ne tombe, là où tout tombe : La maladie
universelle est la santé particuliere : La conformité, est
qualité ennemie à la dissolution. Pour moy, je n'en entre point au
desespoir, et me semble y voir des routes à nous sauver :
    Deus hæc fortasse benigna
Reducet in sedem vice
.
    Qui sçait, si Dieu voudra qu'il en advienne, comme des corps qui
se purgent, et remettent en meilleur estat, par longues et griefves
maladies : lesquelles leur rendent une santé plus entiere et
plus nette, que celle qu'elles leur avoient osté ?
    Ce qui me poise le plus, c'est qu'à conter les symptomes de
nostre mal, j'en vois autant de naturels, et de ceux que le ciel
nous envoye, et proprement siens, que de ceux que nostre
desreiglement, et l'imprudence humaine y conferent. Il semble que
les astres mesmes ordonnent, que nous avons assez duré, et outre
les termes ordinaires. Et cecy aussi me poise, que le plus voysin
mal, qui nous menace, ce n'est pas alteration en la masse, entiere
et solide, mais sa dissipation et divulsion : l'extreme de noz
craintes.
    Encores en ces revasseries icy crains-je la trahison, de ma
memoire, que par inadvertance, elle m'aye faict enregistrer une
chose deux fois. Je hay à me recognoistre : et ne retaste
jamais qu'envis ce qui m'est une fois eschappé. Or je n'apporte icy
rien de nouvel apprentissage. Ce sont imaginations communes :
les ayant à l'avanture conceuës cent fois, j'ay peur de les avoir
desja enrollees. La redicte est par tout ennuyeuse, fut ce dans
Homere : Mais elle est ruyneuse, aux choses qui n'ont qu'une
montre superficielle et passagere. Je me desplais de l'inculcation,
voire aux choses utiles, comme en Seneque. Et l'usage de son escole
Stoïque me desplaist, de redire sur chasque matiere, tout au long
et au large, les principes et presuppositions, qui servent en
general : et realleguer tousjours de nouveau les arguments et
raisons communes et universelles. Ma memoire s'empire cruellement
tous les jours :
    Pocula Lethæos ut si ducentia somnos,
Arente fauce traxerim
.
    Il faudra doresnavant (car Dieu mercy jusques à cette heure, il
n'en est pas advenu de faute) qu'au lieu que les autres cherchent
temps, et occasion de penser à ce qu'ils ont à dire, je fuye à me
preparer, de peur de m'attacher à quelque obligation, de laquelle
j'aye à despendre. L'estre tenu et obligé, me fourvoye : et le
despendre d'un si foible instrument qu'est ma memoire.
    Je ne lis jamais cette histoire, que je ne m'en offence, d'un
ressentiment propre et naturel. Lyncestez accusé de conjuration,
contre Alexandre, le jour qu'il fut mené en la presence de l'armée,
suivant la coustume, pour estre ouy en ses deffences, avoit en sa
teste une harangue estudiée, de laquelle tout hesitant et begayant
il prononça quelques paroles : Comme il se troubloit de plus
en plus, ce pendant qu'il lucte avec sa memoire, et qu'il la
retaste, le voila chargé et tué à coups de pique, par les soldats,
qui luy estoyent plus voisins : le tenans pour convaincu. Son
estonnement et son silence, leur servit de confession. Ayant eu en
prison tant de loysir de se preparer, ce n'est à leur advis, plus
la memoire qui luy manque : c'est la conscience qui luy bride
la langue, et luy oste la force. Vrayement c'est bien dit. Le lieu
estonne, l'assistance, l'expectation, lors mesme qu'il n'y va que
de l'ambition de bien dire. Que peut-on faire, quand c'est une
harangue, qui porte la vie en consequence ?
    Pour moy, cela mesme, que je sois lié à ce que j'ay à dire, sert
à m'en desprendre. Quand je me suis commis et assigné entierement à
ma memoire, je pends si fort sur elle, que je l'accable : elle
s'effraye de sa charge. Autant que je m'en rapporte à elle ;
je me mets hors de moy : jusques à essayer ma
contenance : Et me suis veu quelque jour en peine, de celer la
servitude en laquelle j'estois entravé : Là où mon dessein
est, de representer en parlant, une profonde nonchalance d'accent
et de visage, et des mouvemens fortuites et impremeditez, comme
naissans des occasions presentes : aymant aussi cher ne rien
dire qui vaille, que de montrer estre venu preparé pour bien
dire : Chose messeante, sur tout à gens de ma
profession : et chose de trop grande obligation, à qui ne peut
beaucoup tenir : L'apprest donne plus à esperer, qu'il ne
porte. On se met souvent sottement en pourpoinct, pour ne sauter
pas mieux qu'en saye.
Nihil est his, qui

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