Les Essais
son
assiette : mais sur tout grande, et incomparable en varieté,
et diversité de commoditez : La gloire de la France, et l'un
des plus nobles ornements du monde. Dieu en chasse loing nos
divisions entiere et unie, je je la trouve deffendue de toute autre
violence. Je l'advise, que de tous les partis, le pire sera celuy
qui la metra en discorde : Et ne crains pour elle, qu'elle
mesme : Et crains pour elle, autant certes, que pour autre
piece de cet estat. Tant qu'elle durera, je n'auray faute de
retraicte, où rendre mes abboys : suffisante à me faire perdre
le regret de tout'autre retraicte.
Non par ce que Socrates l'a dict, mais par ce qu'en verité c'est
mon humeur, et à l'avanture non sans quelque excez, j'estime tous
les hommes mes compatriotes : et embrasse un Polonois comme un
François ; postposant cette lyaison nationale, à l'universelle
et commune. Je ne suis guere feru de la douceur d'un air
naturel : Les cognoissances toutes neufves, et toutes miennes,
me semblent bien valoir ces autres communes et fortuites
cognoissances du voisinage : Les amitiez pures de nostre
acquest, emportent ordinairement, celles ausquelles la
communication du climat, ou du sang, nous joignent. Nature nous a
mis au monde libres et desliez, nous nous emprisonnons en certains
destroits : comme les Roys de Perse qui s'obligeoient de ne
boire jamais autre eau, que celle du fleuve de Choaspez,
renonçoyent par sottise, à leur droict d'usage en toutes les autres
eaux : et assechoient pour leur regard, tout le reste du
monde.
Ce que Socrates feit sur sa fin, d'estimer une sentence d'exil
pire, qu'une sentence de mort contre soy : je ne seray, à mon
advis, jamais ny si cassé, ny si estroittement habitué en mon païs,
que je le feisse. Ces vies celestes, ont assez d'images, que
j'embrasse par estimation plus que par affection. Et en ont aussi,
de si eslevees, et extraordinaires, que par estimation mesme je ne
les puis embrasser, d'autant que je ne les puis concevoir. Cette
humeur fut bien tendre à un homme, qui jugeoit le monde sa ville.
Il est vray, qu'il dedaignoit les peregrinations, et n'avoit guere
mis le pied hors le territoire d'Attique. Quoy, qu'il plaignoit
l'argent de ses amis à desengager sa vie : et qu'il refusa de
sortir de prison par l'entremise d'autruy, pour ne desobeïr aux
loix en un temps, qu'elles estoient d'ailleurs si fort
corrompuës ? Ces exemples sont de la premiere espece, pour
moy. De la seconde, sont d'autres, que je pourroy trouver en ce
mesme personnage. Plusieurs de ces rares exemples surpassent la
force de mon action : mais aucuns surpassent encore la force
de mon jugement.
Outre ces raisons, le voyager me semble un exercice profitable.
L'ame y a une continuelle exercitation, à remarquer des choses
incogneuës et nouvelles. Et je ne sçache point meilleure escole,
comme j'ay dict souvent, à façonner la vie, que de luy proposer
incessamment la diversité de tant d'autres vies, fantasies, et
usances : et luy faire gouster une si perpetuelle varieté de
formes de nostre nature. Le corps n'y est ny oisif ny
travaillé : et cette moderee agitation le met en haleine. Je
me tien à cheval sans demonter, tout choliqueux que je suis, et
sans m'y ennuyer, huict et dix heures,
vires ultra sortémque senectæ
.
Nulle saison m'est ennemye, que le chaut aspre d'un Soleil
poignant. Car les ombrelles, dequoy dépuis les anciens Romains
l'Italie se sert, chargent plus les bras, qu'ils ne deschargent la
teste. Je voudroy sçavoir quelle industrie c'estoit aux Perses, si
anciennement, et en la naissance de la luxure, de se faire du vent
frais, et des ombrages à leur poste, comme dict Xenophon. J'ayme
les pluyes et les crotes comme les cannes. La mutation d'air et de
climat ne me touche point. Tout ciel m'est un. Je ne suis battu que
des alterations internes, que je produicts en moy, et celles là
m'arrivent moins en voyageant.
Je suis mal-aisé à esbranler : mais estant avoyé, je vay
tant qu'on veut. J'estrive autant aux petites entreprises, qu'aux
grandes : et à m'equiper pour faire une journee, et visiter un
voisin, que pour un juste voyage. J'ay apris à faire mes journees à
l'Espagnole, d'une traicte : grandes et raisonnables journees.
Et aux extremes chaleurs, les passe de nuict, du Soleil couchant
jusques au levant. L'autre façon de repaistre en chemin, en tumulte
et haste, pour la disnee, nommément aux cours jours, est incommode.
Mes chevaux en valent mieux : Jamais cheval
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