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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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premières années. Comme elle avait toujours détesté cet endroit, elle s’était réjouie lors de son arrivée dans sa première famille d’accueil, à Castello. Signora Settembrini était couturière et son mari prestidigitateur. Il gagnait sa vie dans un théâtre de variétés de troisième zone. Ses affaires allaient pourtant si mal qu’il l’envoya bientôt à la rue, non sans lui avoir donné au préalable une solide formation lui permettant de rentrer avec une importante récolte de mouchoirs et de porte-monnaie.
    L’agilité avec laquelle ses doigts se faufilaient dans les poches étrangères avait surpris même son exigeant professeur. Ce fut une belle époque, la plus belle de sa vie. Lorsque signor Settembrini avait quitté ce bas monde, dans d’obscures circonstances, et que son épouse était repartie dans sa famille à Bergame, Angelina avait pleuré pendant deux semaines.
    On l’avait alors confiée aux Zuliani, le couple de marguilliers chargé de l’entretien de l’église de Zobenigo. Ici, elle se levait à sept heures pour allumer le feu, allait à l’école à huit, balayait tout l’après-midi (et donnait, si nécessaire, un petit coup de serpillière), puis accomplissait mille autres tâches jusque tard dans la soirée car Mme Pour finir adorait se faire servir.
    Le seul rayon de lumière dans son existence était le père Maurice qui s’était mis en tête de lui enseigner le français – peut-être parce que la facilité avec laquelle elle apprenait sa langue maternelle le fascinait. Il lui suffisait d’entendre un mot pour qu’il se grave à jamais dans son cerveau. Elle comprenait d’emblée les règles de grammaire. Et le soir, quand elle avait du mal à s’endormir, elle murmurait dans le noir les sons aussi légers que de la soie. Ces termes magiques lui faisaient oublier le sac de paille pourrie dans son débarras humide, adossé au mur de la cuisine, les moustiques qui la piquaient en été et le poids des trois couvertures sales en hiver, quand les vitres étaient blanches de givre.
    Cet appentis présentait certes l’avantage qu’elle pouvait s’échapper à l’insu de tous et, donc, faire un tour en ville avant de se coucher. Mais elle s’était promis de ne plus jamais recommencer. Les deux derniers jours avaient été un calvaire. L’image de la jeune femme morte ne la quittait pas. Pire, elle craignait que l’assassin ne regrettât de l’avoir épargnée et ne se mît à sa recherche – même si son seul souvenir était qu’il boitait.
    Elle leva les yeux vers la Sainte Vierge qui fixait toujours la chapelle d’en face, muette comme une carpe. Si, dans certaines églises, les statues pouvaient parler (ainsi que le prétendait Mme Pour finir ), Santa Maria Zobenigo n’en faisait assurément pas partie. À présent, Angelina doutait même que la Vierge l’écoutât. Autant discuter avec son seau d’eau.
    Au moment où elle tournait la tête vers la gauche, elle entendit un bruit. Un homme avait franchi le seuil, sans frotter ses chaussures bien entendu, et laissait derrière lui des traces de pas humides. Il s’avança vers le bénitier, y trempa deux doigts et se signa d’un geste lent. Puis il sortit un portefeuille de son manteau et en tira un papier qu’il étudia avec soin. Il devait être myope car il tenait la feuille juste sous son nez. Enfin, il referma son portefeuille et glissa celui-ci dans la poche de sa redingote. Le manteau n’était pas tout neuf. D’où elle était, elle distinguait presque les mites sur le col. Le brave homme produisait une impression d’ensemble assez minable. Toutefois – elle enregistrait tout de suite ce genre de détail –, le bord de son portefeuille dépassait de sa poche.
    M. Cochon aurait pu emprunter l’allée centrale. Au lieu de cela, il fit un crochet par la gauche en sorte qu’il dut se faufiler entre la poubelle, le seau d’eau et elle-même. Au moment où il la frôla, elle agit par automatisme. Pour qui sait que, dans les secondes décisives, ce sont les doigts qui pensent, cette réaction paraît presque naturelle. Sa main se jeta sur sa proie, son pouce et son index se refermèrent à la vitesse de l’éclair. Son geste fut si rapide qu’elle ne comprit elle-même ce qui s’était passé qu’une fois le portefeuille sous son tablier.
    Avait-il remarqué quelque chose ? Apparemment, non. M. Cochon continua sa route. Il avait déjà presque dépassé la deuxième chapelle sur la

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