Les fiancés de Venise

a-t-elle révélé de qui il s’agissait ?
    — Non. Elle m’a simplement précisé qu’il faisait preuve d’une extrême générosité et qu’elle ignorait comment elle survivrait sans lui.
    Il soupira.
    — Il aurait été absurde de lui rappeler qu’elle vivait dans le péché. Elle n’avait pas le choix.
    — Depuis quand connaissiez-vous Mlle Slataper ?
    Le révérend père réfléchit un instant.
    — Depuis deux ans.
    — Et quand a-t-elle évoqué cette relation pour la première fois ?
    — Il y a un an, peut-être.
    Le père Maurice regarda son interlocuteur.
    — La femme de ménage n’a vraiment jamais vu cet homme ?
    Tron secoua la tête.
    — Non. Ni elle ni apparemment aucun voisin. Signora Saviotti suppose qu’il utilisait la porte donnant sur l’eau. De toute évidence, il tenait à ne rencontrer personne.
    — Et vous pensez que cet inconnu peut être impliqué dans le meurtre ?
    Le commissaire haussa les épaules.
    — Aucune idée. La première étape de l’enquête consiste à le dénicher.
    — S’il s’est arrangé pour garder leur liaison secrète, bon courage !
    Le curé s’adossa à la chaise et considéra la fiasque devant lui. Puis il demanda :
    — Quand a-t-elle été tuée ?
    — Probablement il y a deux jours.
    Il eut l’air surpris.
    — Dimanche ?
    Tron acquiesça d’un mouvement de la tête.
    — Ce jour-là, signora Saviotti est arrivée dans l’appartement vers une heure. Le crime a forcément eu lieu après son départ, mais je ne peux rien dire de plus précis.
    Le père Maurice hésita et remit en place une mèche tombée devant son œil. Puis il déclara :
    — Dans ce cas, je peux vous aider.
    Le commissaire plissa le front.
    — Dans quelle mesure ?
    — Dimanche, elle est venue aux vêpres.
    Il se passa de nouveau la main dans les cheveux.
    — Quand ?
    — La messe commence à sept heures, répondit-il sans avoir besoin de réfléchir, et se termine à huit.
    — Lui avez-vous parlé après l’office ?
    — Non. Elle a quitté l’église en compagnie d’un homme.
    — Pourriez-vous le décrire ?
    Il sourit.
    — Je peux même vous dire son nom et vous révéler son adresse.
    — Eh bien, révélez-les-moi, je vous en prie.
    — Il s’appelle Gutiérrez de Estrada et loge au Danieli . J’ai eu le plaisir de faire sa connaissance il y a quelques jours.
    Le père Maurice fit une grimace de dégoût, comme s’il venait de boire du vinaigre.
    — À quelle occasion ?
    — Je me suis rendu à son hôtel pour obtenir des nouvelles d’un ami. Je pensais qu’il l’aurait accompagné à Venise.
    — Vous a-t-il été de quelque secours ?
    — Disons qu’il n’en brûlait pas d’envie.
    — Avez-vous une idée de ce qu’il faisait avec Mlle Slataper ?
    Le prêtre fit non de la tête.
    — J’étais moi-même surpris de les voir ensemble.
    — Avez-vous eu l’impression qu’ils se connaissaient ?
    — Je ne peux pas vous dire. Je crois qu’ils discutaient, mais je n’en suis pas sûr.
    Il baissa le regard vers la table
    — Que comptez-vous faire, maintenant ?
    — Me rendre au Danieli et m’entretenir avec ce Gutiérrez, répondit Tron en se levant.
    Le père Maurice lui jeta un coup d’œil sceptique.
    — Vous constaterez sans doute vous aussi que señor Gutiérrez n’est pas très loquace.
    Il s’était levé à son tour pour raccompagner son visiteur. Tron fronça les sourcils.
    — Je doute qu’il refuse de se montrer coopératif alors qu’il s’agit d’élucider un meurtre, surtout qu’il est peut-être la dernière personne à avoir vu la victime en vie.
    — Certes. Mais il est aussi ambassadeur du Mexique auprès du Saint-Siège. Vous ne pourrez pas l’obliger à avoir un entretien avec vous.
    — Je n’ai encore jamais rencontré de difficultés avec les diplomates.
    Le père Maurice posa la main sur la poignée et sourit.
    — Vous n’avez encore jamais rencontré señor Estrada.
     
    La porte s’ouvrit en crissant sur ses gonds comme d’habitude. Telle une petite souris au fond de son trou, Angelina n’avait pas quitté le battant des yeux depuis que le commissaire était entré dans la sacristie. Il reparut et s’engagea vers la sortie d’un pas tranquille. Il flânait, comme prêt à s’arrêter à tout moment pour admirer un détail. De fait, il ralentit pour contempler la Madone muette dont le regard de marbre fixait toujours le mur d’en face.
    Elle