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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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de pleuvoir, il tombait des flocons et, dans ce cas, la neige était souvent rouge de sang – une vision qu’il détestait car elle lui gâchait le plaisir d’accéder au trône des Habsbourg. En revanche, il y avait des variantes qu’il adorait.
    Dans sa version préférée (qu’il n’aurait jamais avouée, même sous la torture), il se voyait à l’issue des obsèques dans le caveau familial en compagnie de sa belle-sœur. Le tissu de son uniforme d’amiral frôlait le satin de sa robe de deuil. Il se collait à elle d’un air innocent. Sa main, passée autour de sa taille fine dans un geste de consolation, remontait petit à petit son dos pour voir s’il était vrai, comme le prétendait la rumeur, que Sissi ne portait pas de corset. Au bout de quelques minutes, il constatait qu’elle était en effet très peu vêtue sous sa robe noire.
    Le 3 octobre 1863, peu après neuf heures, Ferdinand Maximilien, archiduc d’Autriche, sortit de cette dernière variante du rêve et regretta aussitôt de s’être réveillé. Le songe avait été d’une particulière intensité. Il plia le bras sur son front et poussa un soupir – un soupir d’une extrême complexité, qui n’exprimait pas seulement une idée, mais toute une série d’idées. Il pensait à la fois aux délices éprouvées dans le caveau familial, à l’état catastrophique de ses finances et au programme de la journée.
    La délégation mexicaine était annoncée pour midi. Il lui restait donc trois heures pour relire son discours, prendre un petit déjeuner tardif et s’habiller avec soin – une question qui lui posait un grave problème : devait-il revêtir son uniforme de contre-amiral et porter l’ensemble des insignes que François-Joseph lui avait accordés ? Non. Au fond, il n’était déjà plus officier de la marine autrichienne. Il ne restait donc que le frac – qui, de son côté, lui paraissait trop républicain car enfin, les députés ne venaient pas le nommer président, mais empereur du Mexique.
    Maximilien repoussa la couverture, sortit les jambes du lit et s’assit sur le bord du matelas avec prudence. De façon tout à fait surprenante, son corps supporta le passage à la position verticale avec une grande sérénité. Pas de soudain vertige, pas de brutale métamorphose de sa chambre en manège trop rapide. Rien. Après les trois (ou était-ce quatre ?) bouteilles de tokay qu’il avait bues la veille en jouant aux cartes, il s’était attendu à une abominable gueule de bois. Or il se sentait tout juste hébété. Il en conclut que son organisme s’était déjà adapté aux charges que ses hautes fonctions lui imposeraient bientôt.
    Empereur du Mexique ! Il fallait bien admettre que ce titre faisait un peu – et même, peut-être plus qu’un peu – opérette. D’un autre côté, il ne pouvait nier que sa situation ici, en Europe, devenait chaque jour plus intenable. Son emploi de contre-amiral était une plaisanterie (toute la marine autrichienne était une vaste blague) et ne correspondait en rien aux compétences d’un homme tel que lui – pas plus, d’ailleurs, que les émoluments qui arrivaient de Vienne chaque semestre (souvent avec un considérable retard).
    Ses revenus annuels se montaient à cent cinquante mille florins. Les dettes accumulées au fil du temps devaient dépasser (malheureusement il s’y perdait) les trois quarts de million. Il dépensait presque soixante mille florins rien qu’en remboursement des intérêts. Cette pauvreté était décidément trop… humiliante.
    Maximilien se leva en chancelant, traversa la pièce avec l’allure d’un marin qui vient de poser le pied sur la terre ferme après un long voyage et s’approcha de la fenêtre. Une légère brume flottait encore sur la mer, mais le ciel offrait déjà une clarté absolue. À l’horizon, deux bateaux de pêcheurs avançaient lentement ; leurs voiles brillaient dans le soleil. Bientôt, le golfe de Trieste baignerait dans un bleu resplendissant. Il sourit de savoir son aîné condamné à passer la majeure partie de l’année dans le sordide château de Schönbrunn.
    Puis son regard tomba sur le bassin portuaire creusé dans la roche à grands frais et les deux sphinx égyptiens qui en gardaient l’entrée. Sa mine s’assombrit aussitôt au souvenir des fortunes englouties dans ce débarcadère. De fait, le château de Miramar avait été financé avec de l’argent qu’il ne possédait pas. Son frère ne

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