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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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au lait en s’efforçant de ne pas salir la nappe blanche. Si Charlotte, son épouse, la fille du roi de Belgique, surgissait sans prévenir (ce qu’il fallait toujours prévoir), elle ne manquerait pas de repérer les taches et de lui jeter un de ses regards désapprobateurs qui lui causaient des crampes à l’estomac. L’archiduc mordit dans le croissant et but une gorgée. Puis il demanda, toujours sans regarder son valet de chambre :
    — Et elle n’a fait aucune difficulté… ?
    Schertzenlechner secoua la tête.
    — Non, aucune, répondit-il avec un sourire déplaisant qui exhibait sa dentition. Tout est allé très vite. Je ne suis pas resté plus de cinq minutes dans l’appartement.
    — Vous êtes sûr que personne ne vous a aperçu ? Ni voisin ni passant ?
    Le domestique secoua la tête.
    — Le brouillard était si dense qu’on voyait à peine à un mètre, Majesté.
    Le futur empereur affichait toujours une grimace sceptique.
    — Vous savez que je ne peux pas me permettre la moindre compromission. Pas en ce moment.
    — Je sais, Majesté.
    Maximilien se racla discrètement la gorge. Il se sentit tout à coup épuisé.
    — Les vautours sont partout.
    Schertzenlechner s’inclina.
    — Certainement, Majesté.
    Le terme de « vautour » lui fit de nouveau penser au Mexique où, se souvint-il, ils avaient imaginé qu’elle le suivrait. Par malheur, le destin n’avait pas voulu qu’elle prît un bateau pour le Nouveau Monde et que, par la grâce impériale (ils avaient plaisanté là-dessus), elle se métamorphosât en comtesse de Guadalajara. Non, se corrigea-t-il, ce n’était pas le destin, mais lui, ses ordres, qui avaient réservé un tout autre sort à la pauvre. Il ne lui restait plus qu’à espérer qu’elle…
    Il ferma les yeux et sentit que la panique commençait à ronger son entendement de ses innombrables petites dents de rat. Les vautours qui, un instant auparavant, lui avaient rappelé une fabuleuse contrée sauvage planaient à présent au-dessus de sa tête dans un ciel pareil à un rideau rouge de sang. Sous la pression de cette image mentale, il ouvrit les paupières malgré lui et regarda avec effroi le plafond où brillait le lustre en cristal de Venise, une merveille du settecento 1 du meilleur goût, qui lui avait coûté une fortune et valu une conversation désagréable avec son frère.
     
    Peu après midi, Maximilien archiduc d’Autriche se rendit dans les salons de réception du château de Miramar où l’accueillirent les vivats de la délégation mexicaine. Plusieurs représentants portaient des sombreros qui leur donnaient l’air de figurants dans une opérette d’Offenbach. Le souverain se sentit mal. Il avait cru que son organisme avait bien supporté la nuit précédente, mais son estomac lui pesait maintenant comme un caillou dans le ventre et faisait entendre d’inquiétants borborygmes. À l’origine, il avait prévu de pénétrer dans le grand salon du rez-de-chaussée l’œil vif et le pas souple. Or au lieu de cela, il avait du mal à poser un pied devant l’autre sans perdre le contrôle de ses jambes.
    Son allocution en espagnol souffrit du fait que, par endroits, il repassait à son insu à l’italien et débitait soudain le discours standard réservé aux cadets de la marine. Son auditoire en retira l’impression que le futur empereur du Mexique ressentait déjà le poids de la couronne bientôt posée sur sa tête. Cela lui attira une grande sympathie. En outre, ses futurs sujets éprouvèrent une sincère admiration pour l’uniforme de général des pandours hongrois. Ils roulèrent des yeux à la vue de son tricorne bordé d’or et surmonté d’un plumet rouge. Et la peau de tigre sur ses épaules lui valut un immense respect. Pour parler en termes militaires, il avait tiré dans le mille.
    1 - XVIII e  siècle. ( N.d.T. )

3
    — Que portait-il ? s’étonna Tron.
    Assis à l’une des fenêtres du palais Balbi-Valier, il en admirait l’étanchéité. Chez lui, par temps de forte pluie, il fallait sortir seaux et serpillières : le bâtiment fuyait de toutes parts.
    — Un uniforme de général des pandours, répéta la maîtresse de maison. Avec une peau de tigre sur les épaules.
    Confortablement allongée sur sa méridienne, dans une simple robe d’intérieur, la princesse de Montalcino lui rappelait la sculpture de Joséphine de Beauharnais par Canova. Elle portait pour tout bijou une broche ornée d’une

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