Les fiancés de Venise
marché aurait dû lui plaire, songea Tron. Maximilien part sans encombre s’installer au Nouveau Monde, les emprunts de Maria retrouvent leur valeur et lui-même, son futur mari, est nommé commandant en chef de la police vénitienne. Que trouvait-elle à y redire ?
— Hier, répondit-il, tu m’as expliqué en long et en large que tu étais ruinée si le Mexique ne remboursait pas ses dettes et qu’il ne les rembourserait qu’avec Maximilien à la tête du pays.
— Oui. Cependant, je n’ai exercé aucune pression sur toi !
Non ! pensa-t-il. Elle lui avait juste fait valoir qu’il porterait la responsabilité de sa banqueroute s’il ressortait que l’archiduc était mêlé au crime.
— En outre, poursuivit-elle, je ne suis toujours pas convaincue de sa culpabilité.
Elle laissa tomber sa serviette sans s’en apercevoir. Le commissaire se pencha au-dessus de son assiette.
— Et cette convocation à Miramar ? Cette offre que je ne pourrai refuser ? Qu’en fais-tu ?
Sans doute la même chose que lui car elle changea de sujet.
— Quand dois-tu partir ?
Tron jeta un coup d’œil sur sa montre à répétition.
— L’ Archiduc Sigmund lève l’ancre à minuit. Auparavant, je voudrais passer au palais et, avant l’appareillage, m’entretenir avec le commandant Landrini. J’ai donc encore une heure devant moi.
— Tant mieux.
— Pourquoi ?
— Parce que j’attends une visite. Un vieil ami de passage à Venise. Je voudrais que tu fasses sa connaissance. Il est originaire de Gambarare.
Tron leva les yeux de son filet de bœuf, surpris. Gambarare était le village natal de la princesse. Elle ne l’évoquait qu’à de très rares occasions.
— Je n’ai jamais entendu parler de cet ami.
— Nous nous sommes revus par hasard à Paris, expliqua-t-elle sur un ton indifférent. Il s’est installé au Mexique voilà dix ans et a dû quitter le pays à l’arrivée de Juárez. À l’heure actuelle, il est à Venise à cause de Gutiérrez. Il a découvert quelque chose qui devrait t’intéresser.
— Quoi donc ?
— Il te le dira lui-même.
La princesse releva la tête et tendit l’oreille. À ce moment-là, Tron aussi perçut des pas dans le salon. La poignée de la salle à manger se baissa.
— C’est lui ! s’écria-t-elle.
Le commissaire fronça les sourcils. Pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, la princesse se comportait comme une gamine à la veille de son premier bal. Et surtout, elle avait parlé avec le plus pur accent vénitien. Il se tourna vers la porte et retint involontairement sa respiration.
L’homme qui s’avança d’un pas décidé vers la table, comme s’il était chez lui, n’était pas beau. Il était splendide. Sa grande taille, ses épais cheveux bruns et sa peau mate lui donnaient l’air d’un aventurier. Il devait jouir d’un si grand succès auprès des femmes que la plupart d’entre elles étaient sans doute prêtes à faire abstraction de la soutane et même du chapelet qu’il tenait avec ostentation dans la main droite tandis qu’il donnait la gauche à Tron.
Étrange, se dit le commissaire une demi-heure plus tard, comme il avait rapidement oublié ses préventions contre celui que la princesse lui avait présenté sous le nom de père Calderón. La crainte insupportable d’un rapport amoureux entre les deux amis d’enfance s’était entièrement évanouie. Tron éprouvait même une sorte de sympathie pour le prêtre, malgré la foi inébranlable qu’il professait et que lui-même (en secret, un joyeux agnostique) ne partageait pas.
Le commissaire n’avait pas moins de mal à comprendre son indignation à propos de la confiscation des biens du clergé, un sujet qu’il aborda bientôt. À entendre le fanatisme de ses déclarations, on aurait pu croire qu’il avait été spolié en personne. Pas étonnant que l’Église compte parmi les plus sûrs alliés de Maximilien, se dit Tron. De toute évidence, Rome espérait toujours récupérer ses richesses.
Le commissaire orienta alors la conversation vers la véritable raison de sa présence à Venise.
— Maria m’a dit que vous êtes ici à cause de Gutiérrez ?
Le père Calderón le dévisagea avec acuité, comme s’il cherchait à vérifier de quel bord il était. Puis il répondit avec lenteur :
— Nous soupçonnons l’ambassadeur de tromper à la fois l’archiduc et la Sainte Église.
Le trémolo dans sa voix à
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