Les fiancés de Venise
elle a refusé de jouer leur petit jeu.
— Raison pour laquelle elle m’a demandé un rendez-vous, soupira l’archiduc.
— Par malheur, poursuivit le policier, elle l’a raconté à Pucci. Et ce dernier, ne sachant que faire, a prévenu l’ambassadeur.
— Alors, supposa Beust à son tour, Gutiérrez lui a proposé de l’argent.
— Mais en vain, conclut le commissaire. Sinon Mlle Slataper serait encore en vie.
Le contre-amiral se servit un verre de sherry.
— Voulez-vous insinuer que ce serait lui qui a assassiné Anna ?
Tron haussa les épaules.
— J’incline à penser qu’il a entrepris une dernière tentative pour lui faire changer d’avis. En effet, il l’a raccompagnée à son appartement le soir du crime.
— D’où tenez-vous cette information ? s’exclama Son Altesse, stupéfaite.
— Un témoin les a vus. Là-dessus, Gutiérrez a prétendu être rentré directement à l’hôtel après l’avoir déposée chez elle. Néanmoins, nous avons établi qu’il n’était de retour au Danieli que deux heures plus tard.
— Dans ce cas, pourquoi Pucci a-t-il tout de même tenté de m’extorquer de l’argent ?
— Pour quitter Venise ! expliqua le commissaire. Il devait se douter que tôt ou tard, nous finirions par retrouver sa trace et que, dans ces conditions, les soupçons pèseraient sur lui. Gutiérrez a dû le conforter dans ce projet puisque le photographe savait parfaitement qu’il avait tué Mlle Slataper.
— Où se serait-il réfugié, à votre avis ?
— Probablement sur l’une des îles couvertes de roseaux au nord de la lagune. On peut s’y cacher pendant des semaines sans risque d’être découvert.
— Quelle raison Gutiérrez avait-il alors de l’éliminer ?
— Pucci s’apprêtait à me révéler le nom de l’assassin quand il a reçu une balle dans le dos. Le Mexicain devait nous espionner et il est intervenu avant qu’il ne soit trop tard.
L’archiduc fixa Tron d’un air crispé.
— Qu’avez-vous l’intention de faire, commissaire ?
— Demain, je vais rendre visite à l’ambassadeur, lui montrer les clichés et lui demander s’il a un alibi pour cette nuit.
— Et s’il refuse de s’entretenir avec vous ? insista Maximilien, la mine sceptique.
— Je suis sûr qu’il acceptera de me parler une fois qu’il aura vu les photographies. Son vœu le plus cher sera de les faire disparaître. Or elles sont entre mes mains.
Le contre-amiral se pencha au-dessus de la table et parla sans regarder son interlocuteur.
— Qu’allez-vous lui demander en échange ?
Tout à coup, Tron comprit non seulement que l’archiduc nourrissait un espoir, mais aussi qu’il n’osait pas l’exprimer. Il s’éclaircit la gorge.
— Je pourrais lui proposer un marché, répondit-il avec lenteur. Les cinq mille lires en or et les photographies dont il s’est emparé contre celles où on le voit en compagnie de Mlle Slataper.
Maximilien sourit.
— Par la même occasion, vous pourriez lui laisser entrevoir la possibilité de classer l’affaire au bout d’un certain temps…
« Je pourrais aussi lui laisser entrevoir mon prix », songea Tron. Il toussota de nouveau, puis se redressa dans le fauteuil et déclara d’une voix ferme :
— Seulement, cette offre irait contre mes principes, Altesse.
Il parvint à réprimer un sourire.
Maximilien posa son verre, se leva et s’approcha du hublot d’un pas raide. Il chancelait un peu – peut-être parce que la vague d’étrave d’un bateau à vapeur qui sortait du canal de la Giudecca fit tanguer le Novara . Il resta quelques minutes immobile à la fenêtre. Enfin, il se retourna et dit d’un ton grave :
— Les photographies me suffiront.
Il éclata de rire.
Tron sourit tout d’abord.
Puis il hocha la tête.
31
À voir l’ambassadeur penché au-dessus de sa table de travail, les yeux rivés sur les clichés, le commissaire assis en face de lui aurait presque éprouvé de la pitié. Bossi se tenait deux pas derrière son chef, debout comme la première fois. Le Campanile venait de sonner cinq heures. Entre la questure et le Danieli , la brume s’était tellement épaissie que Tron comprenait que les étrangers hésitent à sortir par un temps pareil.
Pour Gutiérrez, à vrai dire, aucun brouillard n’aurait pu être trop dense. Le diplomate repoussa d’un geste énergique les photographies qu’il avait examinées sans bouger pendant plusieurs
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