Les fiancés de Venise
minutes.
— Pourriez-vous me dire comment vous êtes entré en possession de ces documents, commissaire ?
Malgré un frémissement aux commissures des lèvres, rien dans sa voix ne trahit la moindre émotion. Tron imaginait volontiers que son italien aux intonations espagnoles, qui soulignait le caractère exotique du personnage, plaisait beaucoup aux femmes.
— Hier, nous avons fouillé l’appartement d’Ettore Pucci, répondit le commissaire. À cette occasion, nous avons découvert ces clichés. Je vous en ai rapporté trois sur les six.
Le Mexicain posa une main couverte de bagues sur les photographies et se pencha en avant.
— Où sont les autres ?
— Dans un coffre-fort à la questure. Son Excellence peut se rassurer. Elles ne craignent rien.
— Qu’attendez-vous de moi ?
— Quelques simples informations.
Gutiérrez se tut, plongé dans ses pensées. Puis il reprit :
— Si je réponds à vos questions, qu’adviendra-t-il des trois autres ?
— Cela dépend de la qualité des renseignements, déclara Tron avec un sourire poli. Pour l’heure, ces clichés constituent des pièces à conviction importantes. Bien entendu, personne n’a intérêt à compromettre sans nécessité la réputation de Son Excellence.
— Que désirez-vous savoir ?
— Pucci a exercé du chantage sur vous, n’est-ce pas ?
Le nier n’aurait eu aucun sens. L’ambassadeur confirma.
— Oui. Je l’ai payé et croyais l’affaire réglée, comme il me l’avait promis.
— Seulement ?
— Il y a deux semaines, trois photographies supplémentaires me sont parvenues. Il m’a contraint à verser de l’argent une seconde fois. Je ne suis donc pas surpris qu’il en possédât encore.
— Dans ces conditions, remarqua Tron, je suppose que Son Excellence ne pleurera pas M. Pucci. Il a été assassiné.
Le diplomate n’apprenait bien évidemment rien puisqu’il était l’auteur du crime. Toutefois, la vraisemblance voulait qu’il demandât le nom du meurtrier. Il eut l’intelligence de ne pas exagérer son étonnement.
— Qui l’a tué ? s’enquit-il avec calme.
— Nous pensions que vous connaîtriez peut-être la réponse, Excellence. Vous ne pouvez pas nier que les autres clichés de Pucci vous intéressaient.
— Ce n’était pas une raison pour l’abattre, rétorqua l’ambassadeur. J’aurais sans doute payé une nouvelle fois.
— Possible, convint Tron. Cependant, un autre élément nous fait espérer que vous nous aiderez à voir plus clair dans cette affaire.
— Lequel ?
— Savez-vous que l’archiduc Maximilien entretenait une relation avec Anna Slataper ?
L’espace d’un instant, Gutiérrez parut troublé. Du moins parvint-il à feindre l’embarras de manière convaincante. Il finit par hocher la tête.
— Oui. Ils se sont rencontrés à un bal auquel j’étais également présent.
De nouveau, il posa la question à laquelle on pouvait s’attendre.
— Pucci a-t-il essayé de faire chanter l’archiduc selon la technique habituelle ?
— En effet. Et il a été éliminé par quelqu’un qui voulait à tout prix s’emparer de ces photographies.
— À savoir ? l’interrogea l’ambassadeur.
— Différents cercles peuvent être attirés par ces clichés, répondit Tron.
— Vous pensez à l’Église catholique et aux services secrets autrichiens ? Il est vrai que les conservateurs de l’armée détestent Maximilien. De vieilles rancunes.
— Son Excellence a omis d’évoquer un groupe.
— Lequel ?
— Les juáristes, les véritables ennemis politiques de l’archiduc.
Tron fit une petite pause.
— À notre connaissance, Son Excellence entretient des relations avec eux. Par le biais du consul américain. Ou plutôt de sa femme.
Gutiérrez recula bruyamment son fauteuil pour se lever, se dirigea vers la fenêtre, écarta le rideau et fixa la riva degli Schiavoni pendant un bon moment, comme s’il pouvait y distinguer autre chose que la lumière jaunâtre de quelques becs de gaz dans l’obscurité humide. Lorsqu’il revint s’asseoir, son visage était blême.
— Donc, vous êtes au courant.
— Nous savons que vous rencontrez à intervalles réguliers l’épouse du consul des États-Unis.
L’ambassadeur s’empara de l’étui en argent posé sur son bureau.
— Ces rendez-vous ne sont pas politiques, commissaire.
Tron lui laissa le temps de sortir une cigarette et de l’allumer.
— De quoi
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