Les fiancés de Venise
fier.
— L’assassin de Pucci, continua-t-il, habite au Danieli . Et sa chambre porte le numéro 29. Vous comprenez ?
— La suite de Gutiérrez ?
— Parfaitement !
— Cette supposition ne constitue pas une preuve, répliqua Tron.
— Certes. Mais elle suffit à deviner où elles se trouvent.
— Vous voulez dire les photographies ?
Le commissaire regardait l’archiduc de ses yeux écarquillés.
— En effet, confirma Son Altesse. Elles se cachent sans doute dans ses appartements.
— La suite jouit de l’exterritorialité, lui opposa Tron. Seules les Affaires étrangères peuvent signer un mandat de perquisition. Or il faudrait au moins six mois pour qu’une telle requête leur parvienne.
Son interlocuteur fit une grimace de vampire à la vue d’un crucifix.
— Dans ce cas, il faut renoncer à l’autorisation de Vienne !
— Le commandant en chef ne me donnera pas plus la permission. Spaur ne voudra même pas en entendre parler. En outre, Gutiérrez passe sa vie à l’hôtel.
— On pourrait faire en sorte qu’il s’absente pendant plusieurs heures, proposa l’archiduc.
— Comment cela ?
Maximilien avait manifestement déjà réfléchi à cette question.
— Je peux le convier à une discussion à bord du Novara .
— Que faites-vous de son secrétaire ? objecta encore Tron.
— Je demanderai qu’il assiste à notre entretien. De ce fait, la suite sera vide et vous pourrez y pénétrer sans crainte, avec la complicité de la femme de chambre.
Tron esquissa un sourire en coin.
— Le personnel n’a pas la clé de cette suite. À cause de l’exterritorialité.
— N’existe-t-il pas un passe qui fonctionne pour toutes les serrures ? s’enquit Beust.
— Sans doute. Mais nous ne l’obtiendrons pas sans l’autorisation du directeur de l’hôtel. Or celui-ci est très lié à Spaur, qui réside également au Danieli .
— Est-ce à dire qu’il n’y a aucun moyen de s’introduire dans les appartements de Gutiérrez ? demanda Maximilien d’une voix nerveuse.
Tron réfléchit intensément pendant un bon moment. Puis il avança :
— Si. J’en vois un.
— À savoir ?
Le commissaire était convaincu que son plan pouvait marcher. La princesse le maudirait à coup sûr s’il le lui racontait, mais il n’y avait pas d’autre solution. Du moins n’en entrevoyait-il aucune pour le moment.
— Je connais quelqu’un qui pourrait nous procurer la clé.
— La clé que Gutiérrez a sur lui ? s’étonna le lieutenant de vaisseau.
— Non, corrigea Tron, la clé qu’il n’aura plus sur lui lorsqu’il enverra son secrétaire chercher un document dont vous aurez absolument besoin.
— Je ne vous suis pas, commissaire, admit l’archiduc en tendant par réflexe la main vers la carafe de sherry, comme chaque fois qu’un problème se posait.
— C’est très simple, Altesse. Vous faites en sorte que González se rende au Danieli pendant votre entretien.
— Et ensuite ?
— À son retour, quelqu’un lui dérobera la clé sur la riva degli Schiavoni. Sans qu’il s’en rende compte, bien entendu.
Ce canevas sembla à la fois amuser et impressionner l’archiduc.
— Un de vos collaborateurs ?
Tron secoua la tête en souriant.
— Pas un membre régulier de la police, bien sûr.
36
— Une clé est plus petite qu’un portefeuille, fit remarquer Angelina Zolli quatre heures plus tard. Pour peu qu’elle soit fixée à un anneau, elle peut faire du bruit ou rester coincée dans la poche. Avec un peu de malchance, il s’apercevra de mon geste.
Depuis la riva degli Schiavoni, à une centaine de mètres du Danieli environ, le commissaire et elle observaient les quelques passants qui traversaient le quai maintenant plongé dans le brouillard. La jeune fille reconnaissait vaguement la proue du Novara et, derrière lui, le petit feu de position de l’ Archiduc Sigmund amarré à l’embarcadère de la Lloyd. Le brouillard était moins dense en hauteur, de sorte qu’elle voyait la lune au-dessus du ponte della Paglia, blême comme le visage d’un cadavre. Ce décor lui paraissait aussi irréel que la requête du commissaire à laquelle elle s’était pourtant dite prête à accéder. Elle n’avait pas d’objection de principe, uniquement des questions techniques.
— Dans ce cas, l’homme pourrait crier et me retenir, ajouta-t-elle sur un ton professionnel.
Vers sept heures du soir, un certain sergent Bossi avait
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