Les fils de Bélial
comptant sur ses doigts :
– En 59, Knolles, mon bon compère, te prend au Pas d’Evran. L’année d’après, je t’attrape au pont de Juigné. Tu n’as soi-disant pas un sol pour acquitter ta rançon alors que nous te savons riche. Mais je te libère sur parole… et c’est le roi de France qui paie pour toi !… Quatre ans plus tard, c’est Auray. Te voilà repris. Cette fois par Chandos… et le roi paye encore ! Le roi, le Pape en Avignon, cette fois par la menace : tu peux dire que tu coûtes cher à ceux qui t’emploient !… Prends garde, si nous nous retrouvons face à face que je ne te reprenne pas, car ta rançon, cette fois, ruinerait Charles V et la France.
Guesclin avait porté la main à son épée. Un rugissement du roi Henri lui interdit de répliquer par les armes à une moquerie terminée en menace.
– Viens, enjoignit le Breton à Olivier de Mauny qui ne le quittait guère. Ce géant sera tout petit quand viendra la grande bataille… que je gagnerai !
Suivi de son gros cousin, il s’éloigna vers ses routiers. Calveley croisa les bras et, tourné vers le nouveau maître de l’Espagne :
– Craignez-le autant qu’un ennemi : ses embûches seront réussies mais ses batailles tourneront à son désavantage et, par conséquent, au vôtre.
Il partit à son tour, suivi de Shirton, vers quelques Anglais, témoins de l’algarade, et qu’il dominait de la tête et des épaules. Tandis qu’ils le congratulaient, il pouvait voir Guesclin et ses fidèles qui le huaient en agitant leurs poings.
*
Henri décida d’assiéger Lugo quand, après avoir sommé Fernand de Castro de se rendre, il essuya un refus qui n’ébahit personne.
– Cet homme a du cœur, dit-il. Quel dommage qu’il ne soit point des nôtres ! Si je le prends vivant, je l’occirai moi-même.
Quelques assauts furent menés par les almogavares du roi. Inutiles et sanglants, ils n’eurent pour résultat que de mettre en évidence la volonté des Anglais de n’y pas participer, bien que les Bretons leur eussent proposé pour challenge de montrer aux Espagnols comment on enlevait une ville.
Les semaines passèrent. L’armée n’attaquant plus, l’oisiveté lui pesait. Dans un ciel toujours bleu, le soleil chauffait la terre, consumait les feuilles, les herbes, les hommes. On ne trépassait plus percé d’une sagette ou d’un vireton d’arbalète mais d’un mal qui mettait en sang les intestins : la dissenterie. Il y avait des sources à Lugo, près du pont sur le Mino : les Banos à l’emplacement des thermes romains, mais l’eau en était si chaude, si mauvaise à l’odeur et au goût, que personne n’en voulait boire. Alors, on se trempait dans la rivière, on ouvrait quelquefois la bouche et il advenait qu’on mourût.
Ces morts troublèrent Henri. Lors des assauts menés contre les portes et les murailles, des hommes avaient trépassé pour rien ; maintenant, il en perdait encore comme si Dieu se mettait à soutenir l’adversaire.
– Il me faut conclure un marché avec Castro, dit-il un soir lors d’un maigre conseil négligé, une fois de plus, par les Anglais.
– Il défendra vigoureusement sa cité, regretta Audrehem en gratouillant une barbe qui semblait blanchir sous l’effet du soleil. Il est fidèle à son maître. Je ne l’en blâme point.
– Sauvez votre honneur, sire, dit Guesclin.
Tristan sourit de voir ce forfante qui n’en avait pas une once adjurer son complice couronné d’en montrer en décidant d’attaquer à outrance.
– Non, Bertrand, dit Henri, nous perdrions des hommes et j’en ai trop besoin. Nous allons revenir en Castille. Je vais y grossir notre armée dans l’attente que les Anglais viennent s’y frotter. Cependant, avant que de quitter ces lieux, il me faut négocier avec Castro.
– On ne négocie pas avec un ennemi : on le tue ou on l’emprisonne !
– Vous peut-être, Bertrand, mais moi, je suis uni roi !
C’était bien dit. L’usurpateur n’avait cependant pas négocié à Barbastro, Briviesca et ailleurs, et les joyeuses crémations de quelques centaines de Juifs dans les temples de ces cités ainsi que l’occision des survivants dans les rues et les maisons n’avaient point rassasié sa haine. Ah ! Certes, il était roi, mais un roi transitoire : si les Anglais assistaient Pèdre dans la guerre, il fuirait vers la France toujours sottement accueillante – à moins qu’il ne fût occis.
– Il
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