Les fils de Bélial
de deux autres portant dans leurs flancs une grosse part de son trésor, avait atteint le Portugal. En le recevant à Lisbonne, le roi Pierre avait supplié Pèdre de l’excuser de l’impossibilité où il se trouvait de le secourir. Et d’ajouter qu’il était tellement sensible à ses disgrâces que, s’il s’était trouvé en état de lui rendre service, il n’eût pas attendu qu’il prit la peine de venir lui demander une aide qu’il se voyait contraint de lui refuser vu la pe titesse de son royaume et la médiocrité de ses forces armées. De Lisbonne, Pèdre, ulcéré, avait gagné la Galice où le fidèle Fernand de Castro l’attendait, résolu à se battre et à vaincre.
Don Henri voulait conquérir la Galice. Il la trouvait trop proche de Burgos. « Elle infectera cette cité », prétendait-il. « Burgos revenue à Pedro contaminera la Castille. En Galice, je m’assurerai de Charles le Mauvais et contiendrai le comte de Foix qui sait aussi vélocement renier ses alliances que le petit roi de Navarre. » Son inquiétude grandissait. Sa peur aussi, sans doute. On savait désormais que Pèdre avait renoncé à tout commandement : il accordait résolument sa confiance aux vainqueurs de Crécy, de Poitiers et moult batailles de moindre importance. On savait que Fernand de Castro s’employait à maintenir en Galice tout ce qui subsistait de l’autorité de Pèdre pour lui conserver ce lambeau de royaume.
Comme la plupart des prud’hommes attachés au sort de l’usurpateur et de Guesclin, Tristan voyait les efforts accomplis par Castro renversés chaque jour au profit du nouveau roi. Les grands seigneurs s’assujettissaient au maître du moment ; les cités contraignaient leur défiance. À Lugo, cependant, les événements tournèrent en défaveur d’Henri. Au début du mois d’octobre, il trouva une cité close, contenant une armée importante commandée par Fernand de Castro et, aux créneaux, des manants décidés eux aussi à se battre. Pour la première fois, Guesclin se montra perplexe :
– Je me demande par quel miracle nous pourrions franchir ces murailles ! Les échelades sont impossible les portes sont épaisses et renforcées de fer. Bon sang ! S’il y en a, les Juifs doivent se sentir heureux 142 .
Les murs, flanqués de cinquante cubos ou tours massives demi-circulaires, formaient, autour de la ville, un carré de mille toises de longueur, d’une hauteur moyenne de cinq toises, sans compter leurs merlons hauts comme un homme. Au centre de la cité, ce qui devait être une cathédrale en construction élevait au ciel le moignon de sa flèche.
– Ceignons cette bastille de nos fers et de nos aciers, suggéra Audrehem. Affamons-la ! Nous avons des vivres et l’eau ne nous manquera pas : j’aperçois une rivière. Installons notre logement sur sa rive…
– C’est le Mino, dit le roi.
– Lugo est sur une hauteur, fît Guesclin, pour une fois morose. De là-haut, ils se riront de nous 143 !
– Nous leur ferons payer leur outrecuidance lorsque nous les aurons vaincus, dit Henri. Pas vrai Calveley ?… Vous seul, grand comme vous êtes, me semblez d’un rapport convenable avec cette enceinte de pierre qui doit faire pâlir celle d’Avila !
– Si vous voulez, sire, conquérir cette ville, dit l’Anglais un tantinet moqueur car la tête du roi lui arrivait à peine au-dessus du nombril, il vous faudra deux mois… peut-être trois ou quatre… Et d’ici-là, le prince d’Aquitaine pourra vous prendre à revers.
– Qu’il vienne ! hurla Guesclin. J’en fais mon affaire. Mais s’il apparaît, Hugues, nous nous verrons dans l’obligation de te faire occire comme traître ainsi que tous les Goddons qui sont avec toi.
– Défie-toi, Breton, dit l’Anglais entre ses dents. Il n’est jamais bon de chanter victoire avant une bataille. Tu n’étais – c’est tout de même étrange – ni à Crécy ni à Poitiers. En fait, à te complaire dans des embûches où la victoire est sans mérite, tu ne sais rien des grands enchas 144 … Je t’ai déjà tenu en mon pouvoir… après que d’autres en aient fait aisément autant… Faut-il te le ramentevoir 145 ?
Le Breton grommelait comme un sanglier atteint d’une sagette à la gorge. Pour la première fois, Tristan le voyait gêné. Le roi aussi car il intervint :
– Ah ! Cessez ce tençon, dit-il. Je vous en fais commandement.
Mais Calveley avait perdu patience. Il dit,
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