Les fils de Bélial
retour eût pu séduire sentaient cet homme-là mieux assis sur sa selle ornée d’orfèvreries que sur un trône qui ne l’était pourtant pas moins.
L’armée répandit ses trefs, ses aucubes, ses écuries, ses armeries, ses forges, ses cuisines et le charroi de ses bordeaux loin des murs. Des mandements avaient été donnés aux capitaines : il fallait que l’on vît étinceler les aciers, les cuirs et jusqu’aux plus petits anneaux des mailles. Il importait qu’à la vue d’un tel spectacle les nobles et le commun fussent saisis de respect. Ce nonobstant, dans les murs régnait l’ombre de Pèdre. Toujours. Certains bateleurs pouvaient se truffer de lui en chantant des lais et rondeaux injurieux, la crainte qu’inspirait le suzerain déchu subsistait à Burgos, plus forte qu’ailleurs puisque dans la cité l’usurpateur avait été sacré sans la moindre objection et même dans une liesse à laquelle lui-même ne s’attendait point. L’on disait que la nuit, à la moindre grosse rumeur percée de cliquètements d’armes, les femmes rejetaient les draps et tombaient à genoux cependant que leurs hommes touchaient au chevet du lit conjugal la prise d’une épée ou l’arbrier d’une arbalète.
Si Henri sur ses pas répandait du mésaise, Pèdre effrayait. La fortune (non seulement celle qui se comptait en espèces de toute sorte, mais celle qui présidait à sa destinée) l’avait tou jours secondé dans ses entreprises avant et surtout depuis son avènement. Il avait déjoué les complots et bataillé victorieusement contre ses adversaires. On le savait auprès du prince d’Aquitaine. On devinait que celui-ci rassemblait une armée pour qu’au moment propice il la conduisît en Espagne. On disait qu’au faîte des clochers des hommes veillaient jour et nuit, prêts à sonner la campane et, dans l’obscurité, à allumer des torches.
Après qu’il eut accompagné le roi et ses adulateurs à la cathédrale où ceux-ci voulaient se rasséréner d’une messe, Tristan quitta les murs et rejoignit ses compagnons dans un bosquet défeuillé où ils avaient trouvé suffisamment d’espace pour planter la tente et tendre, entre quatre arbres, une sorte de dais de bure sous lequel ils avaient assemblé les chevaux et Carbonelle.
– Vous auriez dû loger en ville, lui reprocha Paindorge. Vous auriez eu plus chaud parmi des murs solides.
– Je sais, mais je tiens à votre compagnie, et même à celle des chevaux. Nous aviserons si le froid se durcit.
– Pourquoi attendre ? demanda Lebaudy.
– Parce que je ne tiens pas à rencontrer Joachim Pastor au détour d’une rue. Parce que je veux me préparer à cette entrevue… J’ai crainte, mes amis, qu’elle ne dégénère en procès, en querelle… en condamnation !
– Vous n’avez rien à vous reprocher, dit Paindorge.
– Certes, non, renchérit Lemosquet. J’ai perdu mon frère dans cet estequis 148 où nous avons protégé de notre mieux Simon et Teresa… Eudes et Petiton y ont aussi laissé leur peau. Il vous faudra le dire et redire à cet homme.
Tristan soupira. Dans cet affreux combat, sa flote 149 s’était réduite à cinq hommes, puis à quatre après le départ de Serrano. Combien seraient-ils à leur retour en France ? Ils n’avaient point encore affronté les guerriers de don Pèdre. Quand serait-ce ? Qui serait occis ?… Lui peut-être.
Il prit le premier tour de guet et fut plus irrité que d’ordinaire par le puissant vacarme et la puanteur d’une armée peu encline à s’endormir – comme si chaque homme qui la composait prolongeait son temps de vie active et de buverie avant la grande et obligatoire bataille qui le coucherait pour le dernier sommeil.
Quand il ouvrit les yeux, le soleil noyait encore Burgos dans un manteau de pourpre. Paindorge, qui terminait sa garde, lui apprit ce que Shirton venait de lui révéler avant de partir pour le camp des Anglais :
– Henri va réunir les Cortès. Il paraît qu’en chemin, il a envoyé des chevaucheurs aux seigneurs et bourgeois qui lui sont acquis.
Le jour même, l’on vit arriver à Burgos des gens de toute sorte, certains avec femme et enfants soit à cheval, soit dans des chariots peints à leurs armes, et le lundi 4 janvier, le roi ayant voulu une célébration en grand bobant, Tristan se vit requis pour veiller sur sa personne et celle des ricos hombres connus et inconnus de lui.
Les maisons semblaient vidées de leurs habitants.
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