Les fils de Bélial
carreaux vrombirent à sa suite mais aucun ne l’atteignit.
« Si les hommes de Lancastre, Chandos et Calveley arrivent, nous sommes perdus ! »
Soudain, avec la violence d’un tir d’archerie jailli vers le ciel, quatre ou cinq cents cris de malerage éclatèrent :
– England ! England ! Pedro ! Pedro !
Ces noms dégorgés avec forcennerie s’engloutirent dans toutes les imprécations de la langue anglaise. Tandis que cette vocifération monstre submergeait les « Castille » et le nom abhorré de l’usurpateur, les Anglais, précédés d’un jet de sagettes, dévalèrent la pente en une charge furieuse, à pied. Les armes d’hast et les lances écourtées taillèrent et empointèrent de l’homme et du cheval avec une rage qui semblait incapable de s’assouvir. C’était une descente de forcenés, d’une sublimité folle, un grand élan de haine, une ruée de fauves privés de leurs proies qui toutes proches, paissaient dans la plaine ; une vague de fer et d’acier qui déferlait avec un feulement de tempête : un sacrifice mortel.
Des Castillans et des genets tombèrent, saisis de frayeur par cette fureur, ces hurlements, ce courage. Et les chevaliers descendirent à leur tour, se frayant un passage parmi leur piétaille pour frapper, percer, pourfendre, trancher. Tristan qui combattait à l’avant des piétons castillans ne voyait que des poings de fer crispés sur des armes de toute espèce, des guerriers aux têtes funèbres, hargneuses, serrées dans des bassinets aux visières relevées, aux cimiers empanachés de plumes molles. C’était une trépidation folle, frémissante, sur les écus armoriés dont chaque lame adverse épluchait la peinture : une mêlée pareille à celle de Poitiers, bourdonnante d’enseignes et de cris gutturaux sortis de gosiers en feu. C’était un combat inégal, une mêlée déloyale et féroce où une seule chose importait pour lui, plus lancinante que la victoire sur l’ennemi : préserver sa vie, protéger son corps, le tout confondu dans la pensée de Dieu et de saint Michel.
– Qu’ils fuient ! Il n’y a point de déshonneur en l’occurrence.
Son armure lui pesait. Il avait conservé son bassinet ouvert. Bien que Paindorge l’eût soigneusement assujetti à son colletin, il redoutait qu’il ne s’en détachât et ne se mît à branler autour de sa tête. L’excitation mortelle et lugubre ne l’atteignait point. Il se sentait dépossédé de toute haine. Il fallait se battre ? Il se battait. Estiquer ? Il estiquait de la pointe de Teresa, mais sans passion, sans cette espèce de volupté qu’il avait ressentie avant que de fuir vers Poitiers, quand tout était fini, sans honneur ni mérite. Les Anglais reculaient de trois pas pour revenir à l’assaut avec plus de violence et de hardiesse. Certains tombaient et se relevaient demi-morts pour fournir malaisément un dernier coup d’épée, dégorger un dernier cri farouche, verser un ultime sanglot de rage et de mépris. D’autres demeuraient roides, gisants de fer sanglants sur un suaire d’herbe pauvre.
Un capitaine goddon essaya de monter sur son roncin affolé pour percer quelques assaillants de sa lance. Le cheval refusa de s’immobiliser. L’homme tira sur la rêne. Le cheval se cabra ; la rêne se rompit. Le grand serpent de cuir s’enroula autour du gantelet. Tandis que l’homme, furieux, essayait de se dégager, un vireton l’atteignit dans le dos. Initiative mortelle : il chut et fut méritoirement piétiné.
Une rumeur enveloppa celle de la bataille : un millier de cavaliers accouraient, hurlant : « Castille ! Castille ! » à s’en rompre la gorge. Aucun doute : ils venaient de Zaldiarân. Un vol de dards et d’empennes froussantes perça le ciel dans leur direction. Des hommes chancelèrent et s’abattirent et quelques chevaux s’effondrèrent. Certains purent se relever pour reprendre un galop inutile.
« Ils se battront jusqu’au dernier ! »
La plupart des Castillans avaient mis pied à terre. Certains, se faufilant sur le terrain adverse, y égorgeaient les blessés et les mourants avec des couteaux longs, étroits, à virole et manche de bois. Se méprenant sans doute, ils devaient parfois occire des compères hardis et aventureux.
« Merdasse de guerre ! »
Sans cesser de grogner, Tristan se protégeait de son mieux, éloignant les épées soudainement inquiétantes, déjouant les épieux dont la lame de Teresa brisait
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