Les fils de Bélial
soutinrent qu’au moment de s’entre-tuer, l’excès même de la courtoisie ne pouvait être imputé à la faiblesse. Le roi trancha : il répondrait, dit-il avec sérénité.
On envoya chercher un tabellion. En vain. Frère Béranger s’offrit à remplir son office. Aussitôt, il fut pourvu d’une grosse écritoire et s’attabla pesamment, ignorant soudain les capitaines : le roi seul importait pour lui.
– J’y suis, dit-il après avoir éprouvé, sur le bord de son index senestre, la flexibilité d’une plume d’oie à la hampe baguée d’or.
Le roi se mit à marcher en se frottant parfois le menton ou le front.
– Don Henri, par la grâce de Dieu, roi de Castille et de Leôn (486) à très-haut et très-puissant seigneur don Édouard, ains-né fils 271 du roi d’Angleterre, prince de Galles et de Guyenne, duc de…
Le silence poussa Tristan à une initiative :
– De Cornouailles et comte de Chester, sire, dit-il.
– Écrivez, intima Henri à Béranger, penché sur un parchemin de qualité médiocre.
Puis, remerciant Tristan d’un geste, il reprit :
– … salut. Nous avons reçu par votre héraut une lettre de vous, dans laquelle se trouvent des choses dites par notre adversaire, par où il nous semble que vous n’avez pas été instruit exactement de la vérité. Sachez donc que, depuis quelques années en çà ayant pris possession de ces royaumes, il les a gouvernés de telle sorte que toutes gens qui le savent et l’entendent se puissent étonner que si longtemps on ait souffert son règne. Or, dans ce royaume de Castille, il a tué la reine dona Blanca de Bourbon, sa femme légitime. Il a tué la reine dofia Léonor d’Aragon, sa tante, sœur du roi don Alphonse, son père. Il a tué dofia Juana et dofia Isabel de Lara, filles de don Juan Nunez, seigneur de Biscaïe, ses cousines. Il a tué dofia Blanca de Villena, fille de don Fernand, seigneur de Villena, afin d’hériter des terres de ces nobles dames et s’en est emparé. Il a tué trois de ses frères : don Fadrique, maître de Saint-Jacques, don Juan et don Pèdre. Il a tué don Martin Gil, seigneur d’Alburquerque. Il a tué l’infant d’Aragon, don Juan, son cousin. Il a tué maints chevaliers et écuyers des principaux de ces royaumes.
Il a tué ou pris à force plusieurs dames ou damoiselles, quelques-unes mariées. Il a usurpé les droits du Pape et des prélats. Pour lesquels excès qu’il serait trop long de rapporter. Dieu, dans sa merci, a fait que tout le royaume en a montré son ressentiment afin que le mal ne s’accrût chaque jour davantage. Et tandis que dans sa seigneurie, il ne trouvait pas un homme qui ne lui fût obéissant, tandis que tous s’empressaient à le servir et l’aider pour la défense de ses États, Dieu ai rendu contre lui sa sentence, en sorte que de sa propre volonté, abandonnant son royaume, il s’est enfui.
Don Henri fourragea dans sa barbe, content de lui et ratissant loin ses idées. Nul ne bronchait. Frère Béranger dont le piquant de la plume séchait, en frotta l’extrémité contre sa paume. Signe de Croix et peut-être exorcisme.
– De son départ , reprit don Henri, les royaumes de Castille et de Leôn ont eu grande reconnaissance et allégresse, louant Dieu dans sa miséricorde, de les avoir délivrés d’un seigneur si dur et si redouté. Librement alors et de leur propre volonté, tous sont venus à nous et nous ont choisi pour leur roi et seigneur, autant les prélats que les chevaliers, les gentilshommes, les communes et les villes du royaume.
Nouvelle interruption. Frère Béranger saupoudra son parchemin comme il l’eût fait d’une tranche de viande et le retourna promptement.
– Ce n’est pas un fait dont il se faille merveiller, car au temps des Goths qui conquirent l’Espagne, desquels sommes issus, telle était la coutume. Ils prirent et prenaient pour roi qui mieux leur semblait digne de les gouverner. Cette loi s’est long temps gardée en Espagne et s’y observe encore aujourd’hui si bien que, du vivant du roi, on prête serment à son fils aîné, ce qui n’a lieu dans aucun autre royaume de la chrétienté.
Le roi soupira. En avait-il trop dit ou insuffisamment ? Tello, Sanche, Dénia hochaient approbativement leur tête penchée, comme si leurs idées pesaient trop lourd d’un seul côté. Guesclin et Audrehem, songeurs, semblaient absents de ce pavillon trop étroit pour une trentaine d’hommes. Tristan voulut
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