Les fils de Bélial
l’attroupement des soudoyers et des seigneurs avides de connaître les raisons de sa présence.
– John de Northbury ou Norbrey, comme disent les gens de France… au service du prince de Galles, messires.
La voix tremblait mais s’efforçait à la hautaineté.
– Où puis-je, messires, trouver le roi Henri ?
– Suivez-moi, dit Tristan. Robert, veille au cheval.
Puis, avant d’accomplir un pas :
– Vous pouvez, messire, confier votre bannière à mon écuyer : il ne saurait la profaner ni permettre que d’aucuns lui manquent de respect.
– Soit, dit le héraut. Je suis venu seul et désarmé… et il ne me déplaît point de vous trouver sur mon chemin.
Il n’avait pas de ceinture d’armes. La selle de son cheval, qui semblait las, était dépourvue, elle aussi, de l’épée d’arçon qui eût pu s’y trouver Tristan vit Paindorge s’adresser à Lemosquet et Lebaudy, présents au premier rang des curieux, et les deux garçons s’éloigner en hâte. « Que vont-ils chercher ? » se demanda-t-il. Tourné vers l’Anglais, il le vit plus pâle encore lorsqu’il se fut décoiffé. Il avait vingt-cinq ans. Il était blond avec des cheveux assez longs et un soupçon de moustache – pour se donner un visage austère. Les yeux bleus, sous de gros sourcils touffus, exprimaient plus de crainte que de curiosité.
– Adoubé depuis peu ?
– Non, messire. Écuyer.
– Je vous l’ai demandé sans malice… Une bataille se prépare…
– Oui, messire.
Inutile de parler davantage. D’ailleurs, la rumeur provoquée par la venue du messager d’Édouard le Jeune avait fait sortir du pavillon royal Henri, Sanche et Tello, un hanap à la main, et Dénia qui rongeait un os de mouton.
– Un noncierre (482) du prince de Galles, annonça Tristan.
Dénia jeta son os et se frotta les mains. Sans doute l’Aragonais pensait-il que ce messager venait proposer une trêve. Rien n’était plus stupide, en vérité.
Ayant distingué Henri d’entre ses frères, le héraut accomplit une genouillade qui, si elle lui coûta, ne semblait due qu’aux articulations de son armure.
– John de North-Bury, dit-il, coupant bien un nom qu’il eût pu exprimer d’un trait. Au service du prince de Galles, duc d’Aquitaine. Je dois vous délivrer une lettre d’icelui.
– Soit, venez.
À la suite du roi, le messager pénétra dans le pavillon. Henri lui proposa de s’asseoir, ce qu’il refusa d’un geste. En revanche, il vida un hanap de vin de Rioja que Villaines lui avait présenté. Sa soif étanchée en hâte, et tandis que ses joues se coloraient, le héraut hésita à prendre la parole.
– Où êtes-vous ? demanda Henri. Nous voulons la bataille aussi fortement que votre suzerain.
Northbury s’inclina :
– Je suis autorisé à vous donner réponse. Nous sommes allés à Navarrete et passé un pays qu’on appelle le Pas de la Garde. Nous avons fait halte en une cité qu’on appelle Vianne 265 . Le prince de Galles, le duc de Lancastre, le comte d’Armagnac et tous les seigneurs s’y sont rafraîchis deux jours, puis nous avons franchi la rivière qui départ la Castille et la Navarre 266 .
– Où ? demanda Henri froidement.
– Au pont du Groing 267 . Nous avons cheminé parmi les vergers et les oliviers et trouvé là meilleur pays qu’avant.
Le héraut s’interrompit, respectant sans doute les recommandations qu’il avait entendues avant de se jucher en selle. Henri profita de son silence :
– Ce que je puis affirmer, messire Northbury, c’est qu’où que vous soyez, nous irons vous combattre.
Le héraut s’inclina. C’était bien ce à quoi le prince s’attendait.
– Voici, dit-il, la lettre de mon suzerain.
Il tira du rebras 268 de fer de son gantelet un parchemin plié, scellé d’un petit sceau et le remit au roi qui s’adressa aux hommes les plus proches de lui : Dénia et Tello.
– Faites appeler au lire messire Guesclin.
Le Breton n’était pas loin. Il apparut entre Couzic et frère Béranger sous la bure déchirée duquel brillaient des mailles.
– Qui va lire ? demanda le Breton avec une espèce de hargne.
Craignait-il qu’on l’en priât ?
– Je lirai, fît Henri. C’est à moi qu’on s’adresse.
Et d’une voix forte, pesante, il commença :
– Édouard, par la grâce de Dieu, prince de Galles et duc d’Aquitaine, à honoré et renommé Henri, comte de Tristemare qui, pour le
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