Les fils de Bélial
sol et qui, les bras croisés, adoptait une attitude dont la sérénité n’abusait personne : un invincible effroi le tourmentait. Pour une fois qu’il avait participé de bout en bout à une grande bataille, il allait subir les conséquences d’une défaite dans laquelle il n’était pour rien, lesquelles seraient aggravées par la résurrection d’un lointain manquement à l’honneur dont, jusqu’à ce jour, il s’était soucié comme d’une guigne.
– Je vous le dis, messires les chevaliers : cet homme pris à Poitiers et mis à rançon avait juré solennellement devant moult témoins ici présents, de renoncer à combattre l’Angleterre, à moins qu’il n’y eût guerre entre nos rois. Or, il n’y avait aucun prince de la famille de France dans l’armée de don Henri que nous avons vaincue. Menteur de promesse, cet homme a manqué à sa foi.
« C’est un peu faux », songea Tristan. « Il y eut dans notre ost de malandrins Bourbon. Il eût tué toute l’Espagne pour venger la reine Blanche. Il a même accepté le meurtre de Rebolledo sans broncher alors que cet arbalétrier hurlait son innocence… Aucun procès… Et Audrehem s’est lui aussi merveillé de cette mort… Il l’a, lui, son procès ! Il enrage, j’en suis acertené… Nous aurons, Paindorge et moi, le nôtre bientôt… Ce sera la mort, sans doute, car s’il est bien en Cour, Calveley n’est pas assez puissant pour assurer notre défense. »
– Que le procès commence !
Messire Arnoul flairait le vent funeste qui s’apprêtait à souffler sur sa barbe. Malaisance atroce, exécrable, que de se voir jugé pour la première fois de son existence, lui qui n’avait cessé de châtier méchamment des innocents acharnés, simplement, à la défense de leur pain quotidien. Une existence où, à n’en pas douter, il avait commis tous les péchés peu ou prou imputables à la possession de l’or et de l’argent. Ah ! Que la mort, vue de si près, semblait terrible. Il courbait le dos tant il se sentait observé par ses compères et ses ennemis.
– Il voudrait s’envoler vers la France sur les ailes de saint Michel et de saint Georges, pour un coup réconciliés.
– Oui, messire, dit Paindorge. De toute façon, il sait qu’il va perdre des plumes. Son armure lui pèse autant que sa conscience.
– Je l’ai toujours pris pour un petit oiseau de proie… Le voilà en grand déhait 346 et déhonté 347 !
La voix de l’accusé devint celle du vieillard que jusqu’à ce jour, il s’était refusé d’être.
– Sire Édouard, ne prenez pas en mauvaise part ce que je pourrai dire pour ma défense dans un moment où ma renommée et ma loyauté sont en cause. Il est vrai que je fus pris à la bataille de Poitiers avec le roi de France, mon seigneur. Il est vrai que je fis serment de ne point prendre les armes contre le roi d’Angleterre ni contre vous, à moins que ce ne fut avec le roi, mon seigneur… ou quelqu’un de son lignage. Je vois bien, sire, que mon seigneur le roi de France n’est pas à mon côté, ni personne de son lignage, et pourtant, je ne suis point parjure.
Un « Oh ! » indigné sortit de quelques bouches ; c’étaient celles de trois écuyers goddons soucieux de se distinguer. À en juger par les déchirures et taches de leurs cottes d’armes, ils avaient participé à la bataille. Ils étaient donc en droit de honnir ce vaincu dont la dignité faiblissait à mesure que le temps passait.
Quant aux douze chevaliers-juges, ils ne disaient mot. Certains s’étaient concertés du regard et d’autres touchés du coude lorsque le maréchal avait entamé sa défense, mais sans doute n’y avaient-ils découvert aucun élément suffisant pour prononcer un acquittement. Tristan, qui ne les voyait toujours que de dos devant le prince, lui, bien visible, ne cessait d’enrager de ne point les connaître.
« Vont-ils me juger, moi aussi ?… Et Paindorge ? Où est Olivier de Clisson ? Pourquoi se tient-il à l’écart ? »
Audrehem se grattait la tempe, à la recherche d’un argument inattendu et puissant susceptible de mettre fin au silence de ses auditeurs qui, en le soulageant de sa destourbe les y plongerait un temps.
– Je m’attendais, Robert, à une suasion, c’est-à-dire à un discours persuasif, or je ne vois de brillant que son armure.
Audrehem se sentait médiocre devant ce prince adipeux et tous ses hommes liges vainqueurs. Tout craquait autour de
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