Les fils de Bélial
en saurons bon gré. Plus brièvement vous le ferez, plus vous en aurez profit. Mes gens d’armes veulent vivre et être payés de leurs gages.
Tristan et son écuyer, allongés au soleil à proximité des deux hommes qui ne pouvaient soupçonner leur présence, se touchèrent du coude. Ils entendirent le rire bas et fugace de Pèdre, puis sa réponse :
– Sire cousin, nous tiendrons et accomplirons à notre royal pouvoir ce que nous avons juré et scellé. Hélas ! Quant au présent, nous n’avons pas d’argent. Nous ne pourrons nous en procurer qu’à Séville… Voulez-vous nous attendre à Val d’Olif, comme vous dites, ou à Valladolid, comme nous disons ? Nous vous y retrouverons au plus tôt que nous le pourrons, au plus tard à la Pentecôte ?
– N’essayez pas de me jouer un tour, mon cousin, menaça le prince de Galles.
– Moi ? Un tour ! s’étonna Pèdre, une main certainement sur le cœur.
Quelque chose craqua, et Tristan se demanda si c’était la serrure où les genoux de Pèdre qu’une arthrite asséchait et dont la persistance, disait-on, influait sur son caractère.
Le jour vint où le roi sentant sa couronne bien assujettie sur sa tête, déclara hautement, par émissaires interposés, qu’il n’avait plus besoin de l’armée anglaise : sa présence devenait une trop lourde charge pour lui-même et pour Burgos. L’inquiétude s’empara des prisonniers : qu’allaient-ils devenir ? Demeurer au pouvoir de Pèdre, c’était mourir. Suivre le prince de Galles, ce serait vivre claquemuré à Bordeaux jusqu’au paiement d’une rançon qui ne manquerait pas d’être élevée. Guesclin se posait-il ces questions ? Certes, non. Il vivait entouré d’égards de toute sorte, et c’était à se demander s’il serait, lui, rançonné.
Édouard était d’autant plus enclin à regagner l’Aquitaine que le mal dont il souffrait s’était, disait-on, aggravé. De plus, des chevaucheurs lui avaient apporté de mauvaises nouvelles : des routiers se groupaient sur les marches des pays où il régnait sans partage, dilapidant ses trésors de guerre tout aussi bien pour son plaisir que pour se présenter à ses fidèles et à sa bonne gent comme un despote munificent. Avant de quitter Burgos, il tenait à ce que ses capitaines obtinssent les indemnités qui leur étaient dues et dont, prétendait-il, il avait acquitté les avances. En outre, rien n’avait inauguré les accords de Libourne. Les ports de la Biscaïe, si précieux pour l’Angleterre contre la France, demeuraient espagnols.
Des commissaires furent nommés pour que les clauses du traité fussent respectées car les deux vainqueurs de Nâjera ne pouvaient se souffrir : chacun restait chez soi à remâcher sa haine. Édouard exigeait 2 720 000 florins d’or, somme démesurée qui, en incorporant les frais de l’armée d’occupation, quintuplait la dette de Pèdre prévue à Libourne. Iré contre son allié, le roi refusait d’acquitter la moindre poignée de maravédis, arguant que les Anglais se comportaient désormais aussi méchamment que les tenants du roi Henri au commencement de la conquête et que les joyaux qui leur avaient été offerts n’avaient été estimés, par eux, qu’à la moitié de leur valeur. Or, voilà qu’ils se disaient contraints de se défaire à vil prix de l’or et des pierreries apportés en Castille pour acquérir des armes, de la nourriture et des chevaux.
Pèdre put démontrer que son trésor était épuisé. Inquiet de voir des compagnies faire mouvement vers son château, il demanda un délai pour réunir une nouvelle fortune. « Soit », lui fit répondre le prince, « mais je veux pour caution vingt châteaux de Castille. » C’était une exigence exorbitante. Pèdre atermoya : Édouard tenait ses filles prisonnières à Bayonne, et c’étaient bien les seuls êtres qu’il aimât.
– Pourquoi Hugh ne vient-il plus nous voir ? demanda Tristan à Shirton un jour qu’il apportait à Paindorge de la charpie et des bandes.
– Il reste auprès du prince qui ne voit que par lui. C’est une bonne chose pour vous. N’oubliez pas, messire Tristan, et toi aussi, Robert, qu’Édouard voudrait vous voir et savoir morts. Mais, contrairement à Pèdre, il aime à prendre son temps.
– Nous le savons. Peux-tu nous dire ce qui se passe à Burgos… si toutefois tu y descends ?
– Rien. Les Juifs vivent dans la crainte et l’impunité. Ils
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