Les fils de Bélial
J’ai compris qu’elle était décidée à faire un bon mariage. Elle se mit à fréquenter des bourgeois. Je la voyais de loin… Elle allait même se faire enfourcher – j’en suis sûr – dans une maisonnette qu’un de ses amants possédait au milieu d’un champ proche de la Marne… Je les ai vus en sortir.
– Et tu espérais toujours ?
– Oui, messire… Un mot, un sourire, un regard prouvant au moins qu’elle me savait bon gré de l’aimer. J’ai compris qu’elle était faussement humble et qu’elle aurait été prête à tout avec moi si j’avais eu de l’estoc (527) .
Paindorge reprit son souffle. La tristesse en lui demeurait lourde et féconde. Il revivait assurément sa passion.
– Jean et Michel me firent connaître ses cousines : Jeanne et Marie. Elles et moi nous sommes liés d’amitié. Je me disais qu’ainsi je verrais plus souvent Edmonde… Ah ! Certes, je la revis, mais elle demeura… hautaine. Je sus qu’elle fréquentait d’autres gars…
– C’était désespéré. Robert ! Robert ! Tu aurais dû te résigner.
– Je ne le pouvais… Mon désir de la voir, seulement de la voir, était… forcené. J’en aurais pleuré !
– Et alors ? demanda Tristan tout en se rasseyant face à son écuyer. N’atermoie pas, Robert, pour me conter la suite.
Paindorge acquiesça de la tête :
– Alors, un dimanche, Jeanne, Marie et deux autres amies m’ont proposé une sortie à cheval. J’étais près d’y renoncer quand Marie me dit qu’il y aurait Edmonde…
– Tu acceptas… Mais avais-tu un cheval ?
– Celui de mon patron.
– Et vous êtes partis…
– Oui, vers Vincennes… Et c’est là que tout s’est passé.
Paindorge poussa un long soupir. Tristan devina qu’il parcourait les dernières toises d’un chemin où sans doute les amours de son écuyer avaient subi le coup fatal.
– Tout allait bien. J’étais fier, moi, le manant, parmi ces cinq pucelles belles et bien nées… Certes, une seule comptait, à laquelle j’avais tenu l’étrier… Je n’osais lui parler, craignant de n’obtenir aucune réponse… C’est alors qu’à l’arrière, elle s’est mise à chanter je ne sais plus quoi, à tirer sur les rênes de sa haquenée, à la titiller je ne sais comment. Et la jument se desraya 363 d’autant plus qu’une guêpe – c’est Marie qui me l’a dit – était venue tourner devant ses naseaux…
– La bête s’est cabrée.
– Oui, messire. Edmonde a chu sur les pavés car nous passions devant le château qui n’était pas alors ce qu’il est maintenant…
Un silence. Un gros chagrin. Jamais Tristan n’avait senti Paindorge si proche de lui. Sans mot dire, il attendit la suite tandis que son compagnon se mouchait d’un revers de main et reprenait d’une voix moins ferme :
– Elle avait heurté le sol de la tête. Le sang lui coulait du nez et d’une oreille. Elle était comme morte et les filles se lamentaient sans l’oser toucher…
Le ton devenait feutré, vieilli, chargé, sans doute, de la même angoisse et de la même compassion que naguère.
– Il y a eu un miracle, messire.
– De quelle espèce ? Elle a repris connaissance ?
– Non… Une litière approchait. Je l’ai arrêtée. Dedans il y avait un mire qui venait de soigner le roi et s’en retournait chez lui avec son épouse.
– Un miracle.
– Un miracle… Marie est montée avec sa cousine toujours pâmée… Le mire est revenu à Vincennes.
– Et il y a guéri ta déesse ?
– Oui… Il l’a même ramenée chez ses parents.
– Edmonde te fut reconnaissante de l’avoir en quelque sorte sauvée ? Car si tu n’avais pas arrêté cette litière…
– … elle serait morte.
Paindorge secoua négativement sa tête soudain pâle :
– Point de gratitude… Non : rien. Ni d’elle ni de ses parents.
– Tu l’as revue ?
– Pas osé… Je savais qu’elle allait mieux par ses cousines.
Tristan imagina la donzelle à visage d’ange souriant à la vie et aux hommes avec la nonchalance dédaigneuse d’une princesse résignée à ne jamais trouver chez un fournier, autre chose que du pain.
– Elle s’est mariée avec un orfèvre gros comme une futaille et laid comme un baphomet… encore que j’en aie jamais vu !… Mais si je vous dis ce mot, c’est qu’on prétend qu’il n’est pas de face plus horrible.
– Elle se fait chevaucher la nuit, les yeux
Weitere Kostenlose Bücher