Les fils de Bélial
sous tous ses angles, ses recoins pour ressentir encore un souffle de terreur à la recomposer dans sa mémoire. Et sous l’empilement des pierres, dans l’écrin d’une chambre somptueuse, une femme qui venait de se déprendre de l’homme qui l’avait renversée sur le lit : Jeanne de Kent. Et c’était peut-être cela qui indignait aussi le prince : des ennemis – dont Paindorge – avaient fait irruption dans cette pièce, abrégé les derniers spasmes d’une étreinte et vu la belle Jeanne nue.
– Je dois avouer que c’était une extraordinaire appertise, mais je m’en dois venger. Comprenez-vous cela ?
Tristan s’inclina :
– Je ne suis qu’un chevalier d’un écu et vous êtes un prince.
C’était tout dire. Un nouveau sourire se glissa sous la moustache rousse aux pointes tombantes. Les commissures d’une bouche vorace, sensuelle, eurent un frémissement. Tristan sentit le prince au bord d’un autre monde, en dehors de l’espace et du temps. Songeait-il à la belle Jeanne ? Ressentait-il toujours pour elle la même concupiscence que lors de « la nuit de Cobham » ? Non, sans doute. Peut-être enrageait-il de ne pouvoir la contenter et de deviner en elle des répugnances affligeantes.
– J’ai envie de vous bailler à Pèdre. Il prétend qu’à Séville, il a vu en vous l’instrument de sa chute.
Tristan sourit à son tour. Le prince le dévisageait avec curiosité. Tout en haut de son corps boursouflé et rigide, sa tête oscilla sous le chaperon noir qui peut-être dissimulait une calvitie.
– Qu’en pensez-vous, Castelreng ?
– Monseigneur, à Séville, la chute du roi Pèdre était accomplie lorsque je lui fus présenté. Je n’étais que le truchement de Bertrand Guesclin et ce n’est pas d’un cœur joyeux que je suis allé remettre à celui qui de nouveau règne, les sommations du Breton et de don Henri.
Calveley toussota. Le prince commençait à s’ennuyer. Il hésitait… À quoi ? Calveley toussota encore pour signaler son imposante présence. Paindorge se tenait déjà le dos au mur.
– Sire Édouard, dit-il, permettez… Vous ne pouvez ménager Guesclin, vous ne pouvez gracier en quelque sorte Audrehem et assembler sur la tête de Castelreng toutes les rancunes que vous devez à cette guerre. C’est un preux. Il vous l’a prouvé. Il n’est pas allé à Cobham de son chef, mais parce qu’il en avait reçu mandement du prince Charles…
Édouard acquiesça, mais aucun argument ne semblait faire dévier sa pensée du but qu’il s’était assigné.
– En vous livrant à Pèdre messire, je renforce une accointance…
– … sur son déclin, sire, se permit de préciser Calveley.
– Vous serez mon garant… Si Pèdre ne vous restitue pas en même temps que les subsides dont il m’est redevable, il n’obtiendra ni ses infantes ni les filles de ses ricos hombres qui sont retenues à Bordeaux.
Cette fois, « tout de gob », Calveley s’emporta :
– Ce serait une erreur que de croire à l’honnêteté de Pèdre. Non, sire ! On ne confie pas un otage à un pareil bourreau. Il vous faut décider de quelque chose d’autre. J’ajoute que Castelreng est ma prise de guerre. Il m’appartient. Il est mon otage !
Physiquement, par le corps et la santé, Calveley dominait le prince. Édouard avait besoin du géant plus encore que d’un otage dont le destin lui importait peu. Le courroux inattendu de l’hercule en habits de manant fit son effet : le gros homme bouffi de graisse et d’orgueil eut un geste d’apaisement.
– Je sais bien, Hugh, que Castelreng est à vous. Mais je me veux venger…
– Reconnaissez, sire, que ce chevalier a un courage qui, s’il était des nôtres, vous ferait grand honneur. Au nom de votre fils Richard qui est né lors de votre départ pour l’Espagne, laissez-moi parler…
Édouard allait se lever – péniblement - il se rassit ; et ce lui fut un mouvement tout aussi pénible.
– Imaginez, sire, reprit Calveley, que votre fils – Richard accomplisse plus tard ou fasse accomplir, sur la personne du dauphin de France, une appertise comme celle de Castelreng à Cobham. Et qu’elle réussisse ! Quelle gloire en vérité ! Quelle fierté pour vous ! Quelle liesse en Angleterre ! Quel los 371 au -delà des mers qui nous entourent !
– Je vous l’accorde, Hugh.
– Castelreng n’est point un ennemi, c’est un exemple !
Le regard meurtrier changea.
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