Les fils de Bélial
Édouard cessa d’être la malédiction personnifiée pour devenir le contentement fait homme. Son imagination parfois hallucinée lui montra, inversées, les scènes dont, à Cobham, il avait été la victime. Elles se situeraient à Vincennes ou au Louvre. Oui : au Louvre, en plein Paris. Richard II d’Angleterre y enlèverait le dauphin de France !
Cependant, une idée chassant l’autre, le prince souleva une objection de taille :
– Charles V est un pauvre hère incapable de procréer autre chose que des filles. Un couard qui a fui à Poitiers et qui s’amollit à la vue du potron de son épouse. Comment voulez-vous, Hugh, qu’il lui fasse un fils ?… Et ne pensez-vous pas, s’il parvient à la foutre, qu’elle donnera naissance à une sorte de bon à rien incapable de régner sur la France ?
– Incapable ou non, il sera couronné.
« Ils ne se soucient point de nous », songea Tristan soudain tourné vers son écuyer. Il sentait Calveley prendre sur le prince un ascendant qui ne pouvait que leur être favorable. D’ailleurs, Paindorge avait fait un petit pas en avant.
– Charles aura un fils, affirma Calveley, dussé-je aller forniquer la reine de France afin que ce pays ait enfin un grand roi !
Cette fois, Édouard consentit à s’ébaudir. Nul doute qu’il voyait le géant s’éreinter sur Jeanne de Bourbon qui peut-être se fut pâmée.
– Vous avez moult intérêt pour cet homme, Hugh !
Redevenu sérieux, le prince désignait ce prisonnier qu’il consentait mollement à laisser au géant.
– Son beau-père était mon ami. Il l’est devenu. C’est pourquoi je veux qu’il vive.
– Croyez-vous que je vais vous dire de le relâcher en vous congratulant ? Vous n’étiez pas à Cobham. Vous ne pouvez savoir quelle frayeur j’ai eue.
Cet aveu coûtait au prince, mais après tout ce qui venait de se dire, il n’avait plus rien à cacher hormis sa difformité. Il se leva malaisément, refusant d’un froncement des sourcils l’aide que Calveley s’apprêtait lui porter :
– Ne croyez pas, chevalier, que votre condition, à Val d’Olif, vous protégera en toute chose… Ni vous aussi, l’écuyer !… Vous appartenez à Calveley… qui m’appartient…
La menace subsistait donc. Tristan jura de s’en accommoder. Il déjouerait les pièges, les embûches jusqu’à ce qu’il trouvât l’occasion de fuir. Il ne pouvait, inversement à Guesclin, compter, pour l’acquittement de sa rançon, sur la bienveillance de Charles V.
Édouard passa devant lui sans le voir. Calveley chuchota : « Bon courage » et disparut. Soudain, la voix du prince éclata, joyeuse, sous les voûtes du moutier :
– Lui faire un hoir 372 !… J’imagine la reine Jeanne vous redemandant de la foutre ! Il n’y a que vous, Hugh, pour me tirer ainsi de ma mélancolie 373 .
Et d’un ton de nouveau profondément maussade :
– Que fait Guesclin ?
– Thomas Cheyne et William de Berland le surveillent.
– Je les guerdonnerai 374 pour cette belle prise.
– Ils se sont accordés pour vous le vendre.
– Soit !… Je suis acquéreur de ce loudier dont le roi de France me paraît aussi amouré que d’une…
Le mot serti de rires demeura au-delà des oreilles de Tristan.
– Viens, dit-il en prenant Paindorge par l’épaule. Quittons cette recluserie. L’air du dehors nous paraîtra plus pur.
Sitôt sorti, et pour modérer les battements de son cœur, il engagea sa dextre dans son pourpoint. La poche interne du vêtement contenait toujours le demi-volet de Francisca. Il lui parut plus petit, comme flétri, et sans qu’il l’eût pourtant flairé depuis son départ de Séville, dépourvu de la moindre odeur. Une idée l’envahit qu’il exprima sans tristesse :
– Si on manque un jour d’un soupçon de charpie, Robert, j’aurai de quoi remédier à cette insuffisance.
VIII
Vint le matin où, à son de trompe, les prisonniers furent priés de s’apprêter. On allait leur distribuer des sacs pour y enfardeler leurs armures, lesquelles seraient entassées sous les cagnards des chariots ; on fournirait aussi un cheval à chacun. Tout chevalier, tout écuyer conserverait son épée à condition qu’elle ne sortît pas du fourreau. Le prince de Galles insistait pour que ce départ, dans l’intérêt de tous, fût accompli vélocement.
– Se sent-il menacé à Burgos ? interrogea Paindorge.
– Qui peut savoir ?
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