Les fils de Bélial
Il y a de bons archers, de bons ballesteros en Castille, et tous n’admiraient pas Henri !… Mais sache-le, Robert, plutôt que d’avancer vers Bordeaux et la France, nous reculons : Valladolid est au moins à trente lieues au sud de Burgos.
– Pourquoi cette retraite ?
– Pour que Pèdre ait moins de chemin à couvrir lorsqu’il portera à Édouard le trésor que celui-ci espère peut-être en vain.
On assembla les prisonniers hors du monastère. Des soudoyers prirent leurs fardelles et les enfournèrent à l’intérieur de quatre chariots. Ensuite, des palefreniers amenèrent les chevaux, tous sellés. Le Bègue de Vil laines réclama celui qu’il montait lorsqu’il avait été ans. Son vœu fut exaucé. Quand le cheval apparut, sa robe noire marquée à l’antérieur dextre d’un soupçon de balzane, ne passa pas inaperçue.
– Malaquin ! dit Paindorge en sursautant.
– J’en jurerais, dit Tristan. Ce qui prouve que Lemosquet et Lebaudy ont pu fuir.
Certes !... Mais où sont-ils ?
– Il faudra que le Bègue nous le dise et qu’il me restitue ce cheval !
– Doucement, messire, votre position n’est point usée.
Guesclin apparut, sorti on ne savait d’où. Il précédait le captal de Buch et Audrehem. On fournit au Breton un cheval gris, brassicourt. Le maréchal reçut un chenal noir bouleté. Tristan se trouva pourvu d’un genet blanc, quelque peu rampin, et Paindorge d’un roncin pommelé à l’encolure de cygne. Ces bêtes avaient combattu dans les deux armées. Leur nervosité subsistait. Tous les prisonniers furent priés de se disposer en bon arroi, deux par deux. Calveley les compta. Il adressa un clin d’œil à Tristan avant de clamer à l’intention du prince de Galles :
– Ils sont tous là !
Édouard passa devant ses otages. Tristan se sentit ignoré. Toute l’attention de l’héritier d’Angleterre se porta sur Guesclin :
– C’en est fini, messire, de votre vie paisible auprès du captal de Buch. Oh ! Je sens en vous le désir d’être derechef en bataille et de toujours guerroyer. Je vous ferai vivre quiètement et sans disputer. Vous aurez à boire et à manger. Quant à votre rançon…
– Sire, coupa le Breton, je laisserai faire Dieu qui est un bon ouvrier.
Le prince s’éloigna. Sa mise était la même que lors de sa dernière visite à Las Huelgas. Il montait, comme Calveley, un cheval davantage capable d’aider aux labours que de galoper en bataille.
On contourna Burgos et chemina sous un soleil qui n’en finissait pas de redoubler d’ardeur. Même l’ombre était chaude, moite, suffocante. Les Anglais qui avaient souffert d’un froid tenace, souvent mortel, blasphémèrent à qui mieux mieux contre l’Espagne et ses grillades. On ne savait où se trouvait le prince de Galles. Peut-être dans sa litière à l’avant du convoi. Parfois Calveley passait, ou Lancastre, ou Jean de Grailly. Puis ces hommes tournaient bride et trottaient vers l’avant.
Quittant Paindorge, Tristan put atteindre le Bègue de Villaines qui chevauchait auprès d’Audrehem.
– Messire, lui dit-il, vous montez mon cheval.
– Tiens donc !
– Je puis vous le certifier d’autant mieux qu’il a reconnu ma voix…
Villaines grommela et haussa les épaules :
– Qui me prouve qu’il est vôtre ?… Je vous ai vu… souvent… sur un blanc coursier… qui me fit envie…
Suant sous une cale de tiretaine 375 sans doute, à la mentonnière dénouée, le vieux guerrier s’exprimait presque aisément. Il formait promptement ses mots, ses verbes : son courroux annihilait sa difficulté d’élocution.
– Un coursier, dites-vous. C’est vrai. Il n’empêche que Malaquin est mien. Je reconnais sa selle, ma selle, et ses lormeries sont gravées à mes initiales : TC… N’est-ce pas, Malaquin ?
Les oreilles chauvies du cheval remuèrent. Tristan se garda de s’écrier : « Tenez, il me reconnaît. » Il fallait qu’il restât affable. Il n’accusait pas Villaines d’avoir robé son cheval. Il ne l’accusait même pas d’avoir fui la bataille : en effet, pour s’être approprié d’une façon quelconque Malaquin, il fallait bien qu’il eût rejoint Lebaudy et Lemosquet au-delà du champ de mort.
Passez votre chemin, mon ami !
Décidément, le chevalier savait ajuster les mots. La crainte d’un trépas sur les champs de Nâjera, l’avait-elle guéri de son infirmité ?
– Soyez assuré, messire,
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