Les fils de Bélial
fixés sur le prêtre, ahuri et indigné par son expression despotique en désaccord avec cette bénignité, cette patelinerie dont il faisait preuve auprès du Breton auquel, sans doute, de loin en loin, il tenait lieu de confesseur. « Lui aussi va se montrer injuste. » Mais qu’avait-il à faire d’un courroux qui sans doute, parti de lui, Castelreng, allait s’égarer sur et dans la juiverie. Il n’éprouvait aucun regret, mais plutôt, tout à coup, une sorte de gaieté altière et ténébreuse à l’idée d’avoir indigné ce ministre de Dieu dans lequel, depuis qu’il le connaissait, il avait vainement cherché quelque trace de religiosité. Ses idées ne toupinaient plus : elles avaient enfin trouvé leur équilibre. Quant à ses navrures, eh bien, Carmen les lui soignerait !
– Hé oui ! Mon père. Deux Juifs. Une jouvencelle de quinze ans et son mains-né. Je les voulais sauver de la haine et de l’abjection. J’étais à Briviesca. Par la pensée, j’y suis encore et j’y serai toujours. En peu de temps, j’ai appris ce que j’avais ignoré jusque-là.
– Peut-on savoir ?
– La haine de certains m’a enseigné la bonté. L’exécration mortelle m’a initié à tous les devoirs d’assistance que l’on doit à son prochain.
– Vous n’en ignoriez rien… ou alors, vous n’êtes pas chrétien !
– Comme vous ? À votre image et à votre façon ?… Eh bien, non, certes, mon père. Je n’étais pas moi, parmi les fagoteurs et les boutefeux… Je n’ai pas touché à mon épée. Je m’en suis allé, vergogneux, pourtant, d’être un chevalier de France.
Le père Béranger étouffait. Oubliant toute dignité, il fit un pas vers le pécheur, la dextre levée, mais celui-ci avait un air et un regard si sereins que la main retomba, effleurant le poignard dont se ceignait toujours cet homme en robe de bure taillée à la façon d’un haubergeon.
– Pour quoi croyez-vous que nous sommes en Espagne ?
– Pour asseoir un usurpateur bâtard sur le trône hérité légalement par son frère.
– Certes. Mais encore ?
– Je l’avais deviné bien avant Briviesca… À vrai dire dès Avignon, lorsque votre Bertrand est allé rançonner le Pape.
– Oh !
– Nous sommes venus céans pour piller, arser, violer, amasser du butin et faire un grand treu 61 de Juifs. La France en a été souventefois purgée. Nous exportons, aidés par la grosse truanderie des Compagnies, notre méchanceté sur cette terre… Car nous sommes méchants, hypocritement méchants !
Le prêtre porta ses mains à sa tête comme s’il craignait qu’elle n’éclatât. Il n’avait jamais affronté tant de hautaineté, de perspicuité et de résistance. Cette façon nette, courtoise, de se regimber. Il n’avait jamais assisté à un pareil décrochage d’une religion pour – ô trahison ! – pour le soutien d’une autre et de ses fidèles.
– Votre chapelain, chevalier, ne vous a-t-il jamais dit que les Juifs sont les ennemis du Christ ? Qu’ils contribuèrent à sa crucifixion ?
Au nom sacré, Tristan s’était signé.
– Jésus, mon père, est aussi loin de moi que de vous. Nous sommes en d’autres lieux, d’autres temps que les siens.
– Sacrilège ! Dieu et Son Fils sont présents maintenant. Je les sais ouïr vos propos !
– Alors, je suis certain de leur bénédiction mais je doute, mon père, qu’ils vous l’accordent après ce qu’ils vous ont vu commettre à Briviesca !
D’autorité, Paindorge sépara les deux hommes. Tristan repoussa Malaquin, le moine exaspéré contourna Tachebrun. « Si ce cheval rue, il meurt », se dit Tristan. Deux pas de côté suffirent pour qu’il éloignât le péril.
– Messires ! Messires ! supplia l’écuyer. Je vous adjure…
– Tais-toi, varlet quand je parle à ton seigneur !
Paindorge accepta l’injonction bien qu’elle lui parût outrageuse. Le prêtre reprit son souffle et sourit avec une sorte de rudesse :
– Lorsque je vous ai vu occire ce Breton, Castelreng, je me suis dit : « Voilà un gladiateur, un homme qui peut devenir maréchal de France. » Hé oui !
– Réservez cette charge à Guesclin. Par ses… mérites, il la mérite !
– Je vois que Briviesca ne cesse d’assombrir vos pensées.
– De les enflammer, mon père ! De les enfumer ! De les consumer !
– Parce que vous ne savez rien des Juifs !
– Ce que je sais, c’est
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