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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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C’était ce qu’on prétendait. Dans cette lumière  glauque, frelatée, la vue ne pouvait porter aussi loin  que d’ordinaire, et rien n’y était pareil. Tristan, trop  attentif à ce qui se passait devant, imaginait ses  hommes ébahis par la vigueur de tous ces colosses ; verts, gris, noirs, tantôt serrés comme des orgues, tantôt malades, tordus, accrochés comme voluptueusement à un voisin dont la tête ébouriffée dominait le  vert conciliabule des autres. On sentait que rien ne venait désépaissir ce qu’ils perdaient à l’automne, et que tout fruit coti tombé sur ce sol fécond vivait, une fois décharné, une nouvelle existence et prenait un nouvel essor.
    –  On se croirait à la remontée (416) dit Paindorge.
    Une terre en éternelle gésine, spongieuse de ses propres sueurs, où les racines, les tiges, les fleurs naissaient dans les viscères, les sciures et les putréfactions des arbres frappés à mort, mais vivant encore et se laissant grignoter par les plantes et les bestioles. Sur des troncs friables comme de l’amadou, penchés comme des contreforts ; sur d’autres allongés sur le dos, le ventre béant, des champignons apposaient leurs ventouses entre lesquelles sinuaient des araignes immenses, aux pattes grosses comme des doigts. Ni les gels féroces de France, ni les grêles qui ne l’étaient pas moins – semblables à celle qui avait dépeuplé l’armée d’Édouard III, tuant les hommes et les che vaux de ses grêlons pareils à des masses d’armes 74 – n’eussent pu traverser les liernes sous lesquels vivait, croissait, grossissait cette forêt goinfrée d’elle-même. Ni les vents dont les ruades pouvaient rompre ou déraciner des chênes séculaires – sortes de Charlemagnes végétaux entourés d’une compagnie de paladins chenus armés et corsetés de ronces – ni les orages ne pouvaient envahir cette forteresse repliée sur elle-même et sur ses secrets. Parfois, ses bannières de sable et de sinople ventilaient ou tressaillaient sous l’éclaboussement brun d’une pie, neigeux d’une colombe égarée. Parfois, le fuseau d’un cyprès égaré lui aussi, figurait un pénitent cherchant Compostelle. Il fallait avancer dans cette architecture fragmentée, mais compacte, pathétique, et qui n’eût effrayé ni Teresa ni Simon s’ils étaient passés par là. De la bidalbo , toujours, en liasse, en faisceau, en chevelure.
    « Ce soir, j’en fumerai. J’oublierai… »
    Ils avançaient en silence. Le chemin hésitait comme s’il cherchait sa voie. Comment se retrouver dans cet enchevêtrement constant, dans ce combat où les herbes d’en bas, géantes et comme autoritaires, saisissaient des branches aussi chargées de cordes et de chevêtres qu’une nef de haute mer ?
    Les pas des chevaux résonnaient à peine. Tous les oiseaux s’interpellaient. Des vapeurs formées par des milliers d’insectes commençaient à se former à dextre, à senestre, sous les voûtes interminablement sombres.
    –  Ne nous laissons pas aller à la mélancolie, mes compères.
    –  C’est plus que de la mélancolie, dit Yvain d’une voix quelque peu rageuse. Je suis sûr qu’on s’est égarés.
    –  Halte ! dit Tristan.
    Encore un serpent. Plus gros, plus long que le précédent ; l’œil clair, vicieux, et qui semblait décidé à l’attaque.
    –  Ne le provoquons pas. Reculez un tantinet.
    –  Quelle sorcière, grogna Yvain, nous offre cette reptile 75  ?
    Tristan sentait la bête résolue à mordre, à détruire plutôt que de s’éloigner. Ce goût du meurtre qu’il soupçonnait donnait au géantin écaillé de noir, de safran et de rouge, un caractère diabolique qui en faisait, plus encore que son énormité, un être à part, un suzerain de la gent rampante. Il ne tolérait point qu’on vînt troubler son repos ou son aguet.
    –  Bougez pas.
    Si peu d’hommes avaient dû succomber à ses enlacements et à ses morsures, combien d’animaux en avaient péri pour qu’il eût atteint cette taille !
    –  Merdaille !… On dirait qu’il m’invite à l’affronter.
    À peine dressé, gueule ouverte, le constrictor patientait. La tête haute révélait une peau plus pâle sous la mâchoire en fer de lance. La langue fourchue, d’un noir mêlé de rouge, frémissait comme une herbe sous le vent. Ses yeux tout à la fois glauques et dorés, proéminents, sondaient l’âme de son adversaire sans pouvoir l’asservir à sa volonté. Il

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