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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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devenus ?
    –  Halte ! cria-t-il, les yeux écarquillés.
    Quelque chose traversait le chemin et s’insinuait dans les herbes. Un serpent de bronze verdâtre, lent et comme indifférent. Sa chemise de mailles, longue d’une toise, de la grosseur d’une cuisse d’homme, était tachetée d’or et de sinople. Sa grandeur et sa répugnante magnificence lui donnaient un aspect légendaire. Ce ne pouvait être le Léviathan du Livre de Job survivant d’un temps ou Adam et Ève hésitaient à s’étreindre et à forniquer. Mais c’était un monstre. Au-dessus, comme épouvantée par son passage, la gent ailée piaillait, voletait, tournoyait, tachetant de ses plumails tantôt clairs et tantôt sombres, le baldaquin sylvestre inaltérablement serré.
    –  Merdaille, dit Paindorge. Quel morceau !… Je l’ai vu… Gonflé en son milieu comme s’il venait d’avaler un chevreau… Même si j’étais saint Georges ou saint Michel, j’aurais reculé.
    –  Moi aussi, dit Yvain. Il était… épouvantable  ! J’en ai peur encore !
    Des ronces griffues, des fougères et des prêles sur les côtés. Devant, un composé de murailles vivantes successives, où les branches et les ramilles entremêlées semblaient tresser des mantelets pour occulter l’avance et la vue des aventureux. Un gros lézard passa, vert noir, comme un petit crocodile.
    –  Tirez vos lames, compères. Avançons… Peut-être nous sommes-nous égarés.
    Il fallut fournir quelques coups d’épée pour dégager la voie. Le bruit parut réveiller des bêtes assoupies.  Aux criailleries multiples des oiseaux s’ajoutèrent de s brames, des glapissements, hurlements et plaintes sur lesquels, comme pour en aviver le hourvari, un vent  souffla, surgi de nulle part. Puis ce fut le silence martelé par les pas des chevaux, lacéré par le tranchant des lames.
    –  J’ai grand-hâte d’être à Cordoue, avoua Paindorge.
    « Et moi », songea Tristan.
    Le sentier montait, descendait, disparaissait parfois sous des herbes envahissantes dans les replis desquelles des ombres indéfinissables stagnaient. Il y avait des fleurs, çà et là, dont les cernes blancs, jaunâtres ou roses, semblaient les croûtes colorées d’une terrestre ulcération. Assez loin, des voiles de vapeurs ténues s’étiraient comme pour empêcher la lumière de révéler des bêtes ou des plantes endormies dans un sommeil poisseux.
    –  Des ratepennades (415) dit Paindorge, le bras tendu vers les sommets.
    Il devait y en avoir quelques centaines, tels de gros fruits pourris suspendus à des branches mortes, comme si elles en avaient sucé la sève, à l’instar d’autres qui s’abreuvaient et s’enivraient du sang des bêtes et des gens.
    Le silence était immense. Il n’y avait que lui de pur – pour le moment. Mais la mélancolie de cette immensité subsistait, serrant les hommes à la gorge tandis qu’ils regardaient en tous sens, à perte de vue et presque à perte d’espérance.
    Plus ils allaient, plus la végétation devenait dense, vigoureuse, follement haute et enchevêtrée. Il fallut, en certains endroits, faucher à coups d’épée des branchettes épineuses, tandis que s’essoraient des bestioles ailées : papillons gras et noirs, mouches corsetées de cuivre, moucherons aux ailes de nacre qui parfois s’en allaient agacer les chevaux. Et des arbres, des feuilles suantes, charnues comme des mains tantôt molles tantôt avides.
    –  Jamais nous n’aurions dû… commença Paindorge.
    L’air immobile sentait la mort. Les lointains nébuleux semblaient se désépaissir, mais dès qu’on les avait approchés, on s’apercevait qu’ils n’avaient été que des leurres et que les arbres étaient toujours aussi serrés, les herbes aussi excessivement drues et le silence aussi redoutable.
    –  C’est vrai, jamais nous n’aurions dû, concéda Tristan. Or, nous serions passés pour des couards. Nous vaincrons cette muraille !
    –  Puisque vous le dites ! dit Yvain.
    Il riait, peu rassuré.
    –  Il y a bien une fin… une plaine quelque part, dit Tristan d’une voix dont l’entrain n’abusa personne.
    À force d’examiner le chemin, de scruter et d’en observer les abords, il sentait ses yeux brûler ses paupières, pour peu qu’il les fermât. Ici, les bêtes et les plantes semblaient vivre dans une connexion plus étroite que partout ailleurs. Y avait-il des animaux qu’aucun regard humain n’avait jamais découverts ?

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