Les fils de Bélial
révéla que Séville était garnie de toutes sortes de munitions pour un siège de deux ans et qu’elle comptait, tant en soudoyers qu’en bourgeois, plus de vingt mille combattants, tous décidés à batailler plutôt que de se rendre.
– C’est, messire, ce qu’ils ont mis en délibéré peu, avant que je ne m’enfuie avec Daniel.
– Qu’ils se décident !… Guesclin n’attendra pas. Il les vaincra. De cela, je me porte garant !
– Il perdra moult hommes, messire, au franchissement des murailles, puis dans les rues étroites où ils se perdront.
– J’en suis aussi acertené que vous-même. Ce que je sais aussi, c’est que la perte de ces hommes ne fera que stimuler l’ardeur des autres. Mieux vaut dès à présent obtenir le rendage 100 . Une boucherie aboutirait à une issue pareille. Dans ces batailles-là, les femmes sont à plaindre. Et les enfants !… Mieux vaut pour eux la mort que ce qu’ils peuvent endurer si leurs époux et pères sont perdants !
Une cloche sonna ; puis plusieurs, désespérément.
– Les Mahoms et les Chrétiens se préparent, messire. La porte où nous sommes est celle de la Juiverie… On m’a reconnu. On nous ouvre.
Le grand huis de bois à deux battants béa en craquant sur ses gonds. Une rue apparut, emplie d’hommes armés, de femmes et d’enfants, tandis qu’une rumeur s’élevait, grandissante, moitié supplication, moitié psalmodie.
– Voyez, messire : ils nous accueillent.
Un galop. Tristan se tourna le premier.
– Merdaille ! dit-il entre ses dents.
Le roi Henri, Guesclin, Audrehem, Gournay, Daniel, le Bègue de Villaines, Espiote, Bagerant et quelques barons venaient de passer sous la voûte. Au-delà, deux mille hommes approchaient en avant-garde des Compagnies qui se déployaient, menaçantes : les routiers chantaient ; des épées cliquetaient sur les boucliers et les targes ; quelques tambours bourdonnaient. Il y eut des cris. Le silence tomba comme lors d’un prodige.
– Alors ? cria Guesclin. Se rendent-ils ou quoi ?
Du haut de son cheval il dominait Tristan et sa main touchotait le haut de son épée.
– Tu vois bien qu’ils n’ont pas le cœur de contrester 101 !
– Entrons, dit Henri. Castelreng a raison : ils ne résistent pas.
– Certes, sire, approuva Tristan. Mais si vous voulez que Séville vous adopte et vous aime, que l’armée reste où elle est : hors des murs.
– Il a raison, approuva Audrehem instigué par son horreur des batailles. Ces Juifs sont accueillants. Je les sens disposés à nous aider et à honorer leur suzerain.
Cependant, une autre rumeur grondait. Daniel s’adressa au roi puis à Turquant :
– Sévillans chrétiens et Maures se sont accointés. On dirait qu’ils veulent assaillir la Juiverie.
– Je le crains, dit Turquant.
Guesclin trouva une telle alliance « intolérable ».
– Des Chrétiens qui s’allient à des Mahoms méritent de subir leur sort. Pas vrai, grand roi ?
– Hé, hé…
Le Trastamare se trouvait dépassé. Il avait espéré un accueil unanime. La plus grosse partie de la population se regimbait. Lâchant les rênes de son roncin aux flancs pour une fois intacts, Guesclin tapota l’épaule de son compère couronné comme pour l’éveiller de ses songes funèbres.
– Sire, dit-il, et vous, messires, à mon jugement, nous sommes trop de gens entrés de ce côté. Je conseille que la moitié sorte et rassemble les meilleurs d’entre nous tous. Attaquez la prochaine porte, qui n’est point juive, si j’ose dire.
Et, s’adressant à Daniel :
– Y a-t-il une brèche au fond de cette rue, que nous puissions faire une sortie ?
– Un grand huis la défend, messire, qu’on peut ouvrir.
– Nous allons le faire. Mon seul nom, mon enseigne et ma seule présence suffiront pour éparpiller ces males gens !… Je connais les Espagnols : ce sont des couards aux yeux et aux dents de loups !
C’était désobligeant pour le Trastamare et les ricos hombres de sa suite. Guesclin s’avisa de Turquant :
– Juif, viens tôt en avant. Tu connais la cité tout entière. Conduis-moi ces chevaliers du côté où l’assaut leur sera profitable.
– Je ferai, messire, à votre gré.
Le commandement tomba, méprisant et hargneux :
– Suis-le, Castelreng… Et vous aussi, Audrehem, Gauthier Huet et les autres.
Tristan suivit à pied ces hommes à cheval. Il enrageait. « On me prendrait
Weitere Kostenlose Bücher