Les fils de Bélial
Ximenez – semblait s’abandonner à un amour tout neuf auprès de son épouse : l’or, l’argent, les joyaux les avaient rajeunis.
Un matin, il rencontra Matthieu de Gournay 105 sur le seuil de l’Alcâzar.
– L’oisiveté vous pèse à vous aussi, Francés ?
– Yes, dit Tristan.
– L’on nous a rapporté à Calveley et à moi que votre Guesclin s’apprêtait à partir pour la France
– Ah ? Je n’en savais rien. Dites m’en davantage .
– C’est malheureusement tout ce que nous savons.
L’œil de l’Anglais pétillait de curiosité. Tristan ne douta pas qu’il fût sincère. Il détailla brièvement cet homme vêtu en bourgeois mais qui portait au côté une épée d’un bel aspect à en juger par sa prise. Front haut sous le chaperon sang-de-dragon relevé, yeux noirs aux paupières clignotantes bien que le soleil fut encore doux, large bouche d’avaleur de mangeaille, menton pointu. Un ami ? Non, jamais. Un ennemi sans doute et ce serait dommage.
– Savez-vous à quoi je songeais, compère ? Que nos deux Alexandre – Henri et Guesclin – ont fait de Séville, à leur intention, une seconde Capoue.
– Je me le disais aussi. Je me le dis chaque jour.
– Guesclin se montre peu avec sa concubine. On dirait qu’il est gêné devant ses Bretons. La reine l’a en horreur. Elle le lui montre. Il l’appelle Jeanne de Pine à fiel (426) . Elle mène avec Henri… comment dire ?… de secondes fiançailles. Le bruit court que matin et soir, ils font ouvrir les coffres de Pèdre afin de plonger leurs mains dans l’or, l’argent, les joyaux… N’êtes-vous point, comme moi, impatient de quitter l’Espagne ?
– Oh ! si, fit Tristan dans un soupir. Mais je ne le puis encore bien que j’aie depuis longtemps achevé ma quarantaine.
– Qu’est-ce qui vous retient ?
– Guesclin.
Inutile d’en dire plus. D’un coup, dans la mémoire de Tristan, Teresa et Simon réapparurent. Il les vengerait et commencerait par châtier Couzic. Cependant, si le Breton revenait en France pour y recevoir des commandements et obtenir des subsides, il se pouvait que Couzic l’accompagnât…
– Venez, compère, dit Gournay. Nous demeurons tout près d’ici l’un et l’autre.
– C’est vrai. L’on m’a dit que Calveley avait l’intention de s’en aller, lui aussi.
– Il attend que Guesclin lui acquitte son dû 106 . Et croyez-moi, c’est une grosse somme !… Le Breton vit comme un satrape à l’Alcâzar, et sa putain lui fait oublier ses devoirs.
Ils cheminaient lentement dans les rues pleines d’une populace qui semblait avoir oublié qu’elle vivait sous la menace constante des pires routiers que la terre eût portés.
– Aimez-vous la cuisine andalouse ?
Tristan avoua qu’il ne la connaissait pas.
– Vous devriez sortir au coucher du soleil. C’est à la vesprée que la cité prend corps, change d’âme et s’embellit.
Cela, Tristan le savait. C’était le soir que Séville semblait s’éveiller. Une rumeur naissait. Les rues inanimées de son quartier commençaient à frémir d’une vie intense, fiévreuse. Les pas se multipliaient sur les pavés des rues. Des chants naissaient. Il ne savait vers quoi marchaient ces processions, mais se doutait que c’était dans la même direction : le plaisir. Bien qu’en Langue d’Oc les veillées de printemps et d’été fussent des plus longues, elles n’étaient ni bruyantes ni chargées de cette liesse diffuse qu’il percevait dans celles des Sévillans. Sauf peut-être à Limoux en certaines saisons où, hypocritement, hommes et femmes se dissimulaient derrière des faux-visages pour se livrer à d’effrénées bacchanales.
– Pour tout vous dire, messire Gournay, je voudrais être soit en Langue d’Oc, soit en Normandie. Je crois que j’aimerais une Espagne paisible. Je ne comprends guère ces gens et, je vous l’avoue, je ne fais point d’effort pour les comprendre. Je les sens secrets.
– Cette réserve hautaine, l’Espagne la doit sûrement aux Maures. Ils ont effrayé tous ceux qui ne leur ressemblaient pas !… Mais nous allons leur donner une leçon quand Henri sera vraiment souverain… Dites-moi, mon compère, n’êtes-vous pas allé dans une maison de danses ?… Non !… Entrez dans l’une d’elles. Vous y découvrirez, en même temps que moult jolies femmes, l’âme espagnole, faite d’effusions, d’allégresse et d’une sorte de
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