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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’amour qui laissa Tristan perplexe.
    « Au point où j’en suis… »
    Pourquoi serait-il revenu en arrière ? Il n’éprouvait aucun remords et se refusait à encombrer son esprit soudain désenténébré d’un réseau de comparaisons insanes. Elle lui avait dit : « Viens » ; il la suivrait.
       
    Ils s’engagèrent dans des rues populacières aux façades peintes de couleurs variées, comme frottées de rose, de mauve, de vert. Ils voyaient du ciel quelques boursouflures où s’insinuait du bleu, ce bleu vigoureux qui n’appartenait qu’à l’Espagne et mieux encore : à l’Andalousie. Les maisons semblaient closes. Parfois, cependant, des treillis de bois à travers lesquels on pouvait voir sans être vu remuaient, éloignés d’une fenêtre par une main, ou se gonflaient sous une pression calculée ; alors, une tête se laissait voir, souvent fardée, coiffée de noir, embellie d’un œillet. Les lamelles de bois retombaient en cliquetant sur un mystère entraperçu.
    –  Où me mènes-tu ?
    –  Tu ne connais pas Séville. Je te la fais voir.
    –  Tu parles bien ma langue. Où l’as-tu apprise ?
    –  Ma mère a servi la reine Blanca quand elle était à Medina Sidonia. Mais tu n’en sauras pas plus… Tout ce que je peux te dire, c’est que Daniel et Turquant étaient… comment ?
    –  Innocents ?
    –  Oui, innocents (434) .
    Tristan n’insista pas. Le châtiment exigé par Guesclin lui avait paru ressortir à un diabolique déduit 124 plutôt qu’à la punition d’un crime. Par des procédés connus du seul Couzic, les deux accusés avaient accepté de s’entrebattre. Leur ignition véritablement foudroyante avait dû consterner les deux Bretons.
    Après avoir assisté au « miracle » d’une double mort célestement donnée, les Sévillans eussent pu rentrer chez eux. Or, ils se répandaient dans les quartiers les plus reculés de la cité pour y publier la nouvelle. Dieu, ce soir, veillait au-dessus de Séville. Des vendeurs de beignets et de poissons frits s’étaient installés aux carrefours et des enfants, quelques maravédis en main, assaillaient leur éventaire. Parfois, un cavalier trottait – seigneur ou écuyer de France ou d’Espagne – ; Francisca poussait Tristan contre un mur ou le cantalabre d’une porte pour le protéger de son corps alors que partout ailleurs, c’eût été le contraire. Des ânes passaient aussi, outrément bâtés, chargés de bois mort, d’étoffes ou d ’alcarazas, et celui où celle qui les conduisait, souvent vieux, haillonneux, subissait un flot de paroles outrageuses alors qu’on s’était tu au passage du Francés et du fidalgo. On sentait parfois une odeur de viande rôtie, l’exhalaison piquante d’une friture, mais le temps n’était pas venu de s’attabler. La rumeur grossissait. On entendait des chants, de rieuses insultes et des lampes s’allumaient, apposant leurs barrettes d’or dans les châssis à claire-voie.
    –  Ce soir, ils iront tous dans les maisons de danse, dit Francisca. Quand un émoi les prend et les tourmente, ils s’en défont ainsi : ils vont au baile.
    –  Tu y retourneras ?
    –  Il le faut, querido.
    De mémoire, Tristan recréa la grand-salle où il avait vu Francisca dans ses œuvres. Les guiternes accrochées aux murs, les tambours et les tambourins à pompons ; les lanternes colorées alternant avec de vieilles bannières. Le balcon divisé en logettes où il s’était assis ; les tables alignées en bas, aux plateaux poisseux de manzanilla, d’aguardiente de cervoise où venaient se désaltérer et sautiller des mouches. Il avait oublié les faces et les vêtements des spectateurs. Il savait qu’il y avait des femmes dans les parcloses, la plupart accompagnées. Leurs prunelles étincelaient comme des bossettes d’argent. Certaines s’éventaient avec de petits instruments qu’il n’avait jamais vus et dont la feuille de tissu montée sur des branches articulées pouvait se déployer ou se refermer : les abanicos 125 . Il fallait que Francisca l’eût envoûté pour qu’il eût recréé spontanément ce théâtre bruyant et coloré dans lequel elle avait répandu, à sa seule attention, la magie de sa présence.
    Il s’aperçut qu’ils revenaient près du Guadalquivir.
    –  Tu vois, dit-elle, ce petit chemin d’herbe ?… On l’appelle la prairie d’Argent. C’est là que les soirs de forte chaleur les Sévillans viennent prendre le frais

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