Les Fils de France
d’autant mieux que le dauphin chérissait la vie de camp et l’exercice au grand air, au milieu d’un cercle d’amis fiables, dont il ne sortait jamais qu’à regret. La bonne humeur d’un Andouins, la folie inventive d’un Saint-André, le côté chien fou d’un La Noue, apportaient au jeune prince la touche de fantaisie juvénile qui, par ailleurs, manquait à son caractère. Parmi ses écuyers piémontais, il avait ainsi distingué, pour sa faconde souriante et volontiers vantarde, un certain Gian Antonio Duci. Ce joyeux drille fut, évidemment, de la partie quand, Moncalieri tombée, on résolut d’en explorer les tavernes et les bordels...
— Henri, gare à tes aiguillettes ! plaisantait La Noue, un peu lourdement.
Il est vrai que, chez ces jeunes chevaliers, bagatelle et grivoiserie passaient pour des raisons vitales.
— Croyez-moi : les plus belles filles sont chez moi, à Fossano, lança Gian Antonio Duci, après qu’ils eurent écumé quelques adresses.
— Et où est-ce, chez toi ?
— C’est à une lieue d’ici, tout au plus !
Évidemment, la petite bande voulut voir Fossano et ses fameuses donzelles... On y parvint sur les coups de neuf heures du soir, déjà bien alcoolisé, dans un climat d’euphorie assez poussé. Seul, au milieu de ses compagnons titubants, le dauphin de Viennois conservait un semblant de tenue. Gian Antonio lui fit les honneurs de sa maison de famille ; et pendant que l’on improvisait un souper sans manière à la mode italienne, Duci pria sa sœur de réunir, pour l’animer, des musiciens, des danseuses et toutes ses amies...
— Eh, Filippa, seulement les belles ! hurla-t-il à l’approbation générale.
Il faut croire que Filippa Duci n’avait que de jolies amies ; car le souper n’eut rien à envier aux festins de beautés décrits par Dante. Vite dénudées, peu farouches, les jeunes Piémontaises embrasèrent les sens de leurs cavaliers français et, dans la nuit de Fossano, les couples se formèrent pour des jeux effrénés... Naturellement, Gian Antonio avait placé sa sœur à la droite du royal invité ; et Filippa sut séduire le dauphin – si bien même qu’on les vit, parmi les premiers, se retirer vers une chambre à l’étage.
Offerte, appétissante comme un fruit parfait, Filippa sut fouetter les sens d’Henri. Elle était tellement plus désirable que Catherine, tellement plus accessible que Diane ! Oubliant ses femmes en France, le jeune prince sauta littéralement sur la sœur de son hôte et, sans se soucier de détours et de parlottes, lui fit l’amour tout librement – sans grande tendresse, peut-être, mais avec fougue. Et plusieurs fois. Jusqu’au matin.
Il ne s’attarda guère, pour autant... Car aux premières lueurs, dès que le coq eut chanté, Gian Antonio lui-même vint le chercher dans sa chambre ; il lui signala que ses compagnons étaient déjà en selle : il leur fallait remonter en hâte vers Carignan, où le grand maître avait donné rendez-vous au roi François.
— Adieu, murmura-t-il à sa belle, assez légèrement.
Filippa ouvrit de grands yeux et, se jetant sur le jeune prince, tenta de l’empêcher de revêtir sa tenue de guerre. Puis, mesurant ce que son geste avait de dérisoire, elle chercha sa bouche une dernière fois et lui donna le plus entier, le plus furieux des baisers.
— Souviens-toi, lui cria-t-elle alors qu’il s’éloignait déjà, souviens-toi de Moncalieri !
Dans l’esprit d’Henri, ce nom devait résonner longtemps : Moncalieri ! Moncalieri !
Blois.
B ien que guérie, la petite Jeanne d’Albret était encore faible quand sa mère, par une journée lumineuse, fit irruption dans sa chambre, au château de Blois. L’enfant, transportée de joie, n’en bondit pas moins dans les bras de Marguerite, qui profita de son bonheur jusqu’à le trouver douloureux.
— Que vous êtes grandie ! lui dit-elle. Serait-ce la fièvre qui vous a fait pousser ainsi ?
La reine de Navarre n’était restée que quelques semaines loin de son enfant ; mais pour la première fois – ses angoisses récentes en étaient la cause – il lui semblait que leur séparation avait duré des mois.
— Son absence m’a coûté, reconnut-elle.
— Ce fut long pour la petite aussi, répondit la gouvernante. Vous lui avez manqué plus que de coutume.
Aimée de Lafayette, veuve du bailli de Caen, avait élevé Jeanne, près d’Alençon, dans son château de Longray. C’était une
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