Les Fils de France
ferrarais et admis de nouveau à la Cour depuis qu’il avait, un an plus tôt, publiquement abjuré l’hérésie. La reine de Navarre l’avait sans hésiter repris à son service, moins par bravade que pour le plaisir de sa conversation.
— Marot, répondit-elle, restez flâner ici à votre guise... Pour moi, j’aimerais revoir en vie ma petite fille !
Cette course contre la maladie rappelait forcément à la souveraine son ancienne épopée dans la sierra de Castille 1 . Elle était arrivée à temps, cette fois-là ; elle avait même pu rendre la vie à son frère mourant.
— Donnez-moi, Seigneur, donnez à votre servante autant de chance, cette fois-ci !
Mais au relais de Bourg-la-Reine, sur les coups de minuit, Marguerite reconnut de loin, à la lueur d’une lanterne, la silhouette fatale d’un de ses écuyers... Son cœur se serra : quelle nouvelle apportait-il ? La souveraine, bouleversée, comprit soudain la douleur immense que son frère, deux fois de suite, venait d’endurer. Et bien qu’elle eût pleuré de tout son cœur son neveu François et sa nièce Madeleine, elle n’entrevit qu’alors, en anticipant le décès de sa propre fille, à quelles profondeurs pouvait s’immiscer la souffrance.
Surgissant hors de la litière, elle apostropha Gautier de Coisay du plus loin qu’elle put.
— Alors ? Parlez, Coisay !
— Ah, madame, rassurez-vous ! Je suis venu au-devant pour vous tranquilliser. L’infante Jeanne va beaucoup mieux ; elle est tirée d’affaire et Mme de Lafayette me prie de vous dire qu’elle pourra en personne accourir à votre rencontre.
Marguerite ferma les yeux. Elle tourna lentement sur elle-même, épousseta son manteau de voyage... Puis, d’un seul coup, elle se laissa tomber au sol et, agenouillée dans la boue, éclata en sanglots. Son soulagement, sa gratitude, étaient inexprimables. Marguerite sanglotait certes, mais de joie. Et pour la première fois, peut-être, elle réalisa à quel point la maternité avait pu la changer.
En Piémont.
L e maréchal de Montmorency, depuis peu lieutenant général du roi en Piémont, avait cheminé toute la journée par des sentiers tortueux de montagne, luttant contre un brouillard épais qui comblait les ravins et occultait les cimes. Était-ce la raison de sa mauvaise humeur ? Le grand maître, en tout cas, arborait son visage fermé des mauvais jours... C’est peu dire, pourtant, qu’il avait la situation bien en main : à la barbe du marquis del Vasto, général de l’empereur, le grand maître avait, deux semaines plus tôt, forcé le passage au Pas de Suse – un exploit si l’on considère que ses effectifs, ce jour-là, n’atteignaient pas six mille hommes ! Les places françaises du Piémont ainsi dégagées, il lui restait à fortifier son avant-garde en attendant le roi qui descendait de Grenoble avec le gros des troupes.
— Avigliana ne devrait plus être loin, estima son bras droit, Montejehan. Mais avec cette poix, je crains que nous n’ayons perdu la route...
Montmorency demeura de marbre. Officiellement, il servait dans cette campagne sous l’autorité du dauphin Henri, dont c’était le second commandement après Amiens, en Picardie. Dans les faits, il gardait la maîtrise de tout, et prenant le jeune prince sous son aile, complétait sa formation militaire sous couvert de conseils d’état-major. Henri n’était-il pas encore, plus ou moins, un enfant ? Avec le charme et les défauts de son âge... Ainsi, revenant vers le Piémont, quelques semaines plus tôt, il avait chahuté dans sa tente avec des jeunes gens de sa compagnie ; or, sa daguette étant sortie du fourreau, il s’était fait une entaille à la cuisse, assez profonde pour le handicaper et l’obliger à circuler en litière plusieurs jours durant... Les hommes pouvaient-ils obéir à un tel collégien ? Plus récemment encore, envoyé par Montmorency prendre le fortin d’Avigliana, que tenait tant bien que mal une quarantaine de mercenaires, il n’avait rien trouvé de mieux que d’en ordonner l’assaut à l’arraché et, une fois dans la place, d’y passer tous les défenseurs par le fil de l’épée !
Pour tout dire, c’est cette nouvelle qui avait mis le maréchal de méchante humeur.
— Monseigneur, voici Avigliana !
Montmorency plissa les yeux. Le brouillard, dans ce vallon piémontais, était si épais qu’il avait fallu attendre de se trouver à un jet de pierre de la forteresse pour en
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