Les Fils de France
nature chaleureuse, pleine de bonté, de rondeurs ; Marguerite, en lui confiant sa fille juste née, s’était dit qu’elle serait pour l’enfant tout ce qu’elle-même, prisonnière de ses devoirs royaux, ne pourrait jamais être.
— La petite n’accepte pas ce départ pour la Touraine, murmura Aimée à l’oreille de Marguerite. Je suis sûre que c’est ce qui l’a rendue malade !
— Je l’y accompagnerai moi-même, proposa donc la reine.
Car François I er avait décidé d’envoyer sa nièce en Touraine. Le roi, informé de certains projets secrets entre son beau-frère, le roi de Navarre, et l’empereur – projets visant à marier Jeanne à un prince impérial –, voulait s’assurer que l’on n’essaierait pas de soustraire sa nièce à la seule autorité qu’il admît pour elle : la sienne. Et c’est pour s’assurer, en quelque sorte, de la personne de la petite infante qu’il l’assignait au Plessis-lez-Tours, l’ancien manoir tourangeau du roi Louis XI. On avait, dans son entourage, contesté ce choix ; Henri d’Albret, puis Marguerite elle-même, contrariés dans leurs ambitions, avaient vivement protesté... En vain.
Puisque la décision royale semblait irrévocable, la mère avait choisi de parer ce funeste voyage des couleurs les plus gaies, les plus libres possible en apparence.
— Que diriez-vous, ma chère petite, de descendre la Loire ensemble, sur le vaisseau du roi ?
— Avec Bure ? demanda la fillette.
Bure était sa chienne barbette, aussi malicieuse qu’elle-même... Et c’est ainsi qu’embarquèrent, par un matin plein de rosée, l’infante de Navarre et sa ménagerie : Bure, mais aussi l’écureuil brun-roux et le perroquet vert –« tout vert comme un bouquet de marjolaine » selon les mots de Marot. Suivaient la petite folle de Jeanne, l’écuyer de service – M. de Coisay – et deux demoiselles d’honneur, son aumônier faisant office de précepteur, M. Bourdon, sa gouvernante, et puis sa mère et puis la suite de sa mère...
— Toute une arche de Noé ! s’enthousiasmait Aimée, en vantant la richesse et le confort des aménagements.
Car la barge royale, avec sa proue sculptée, ses lisses cirées, sa population d’étendards et de bannières, mais aussi les décors de stuc et de boiseries de ses chambres, possédait des commodités étonnantes.
— Maman ! s’extasia la petite Jeanne ; il y a même du feu dans la cheminée !
Par cette saison, c’était de fait un raffinement appréciable – et pas seulement pour le perroquet...
— Les cheminées ne nous préserveront pas du roulis ! frémit tout haut Mme de Lafayette.
— Eh bien, demandez à M. de Coisay comment on l’apprivoise, lui conseilla la souveraine.
— Et qu’en sait-il, M. de Coisay ?
— Il a traversé l’océan dans les deux sens, aux côtés de ce M. Cartier !
C’était une raison suffisante.
L’hiver, au reste, était magnifique et le fleuve, alors en crue, offrit aux passagers, sous un soleil constant, ses rivages sablonneux, paresseux, d’une grâce partout renouvelée. Marguerite s’amusait à voir sa fille courir au bastingage à l’annonce du moindre château : Chaumont, si fier, dominant de haut l’alignement des petites maisons serrées à son pied ; Amboise, fleuron des résidences royales du Val de Loire ; ou bien encore La Bourdaisière, tout neuf alors, et qui enrichissait Montlouis de sa splendeur un peu forcée...
Pendant des heures et des heures de nonchalant cabotage, la sœur du roi et ses amis rimaient.
— Vous devriez écrire à votre cousine, avait proposé Marguerite à sa fille. Elle doit s’ennuyer, à Fontainebleau, toute seule.
— Quelle bonne idée ! approuva la petite. Monsieur Marot, m’aiderez-vous ?
Le poète, ainsi élu, s’institua donc le secrétaire de la jeune infante. Idée de Marguerite : il traduirait en vers les idées qui venaient, en prose, à l’enfant.
— Par quoi commencerons-nous, princesse ?
— Eh bien... Pouvez-vous dire à ma cousine Marguerite combien j’ai pu être heureuse de retrouver la reine, ma mère ?
— Essayons ! Voyons...
Pour commencer donc à rimer,
Vous pouvez, Madame, estimer
Quelle joie à la fille advenait...
La petite infante, aux anges, n’en croyait pas ses oreilles...
Quelle joie à la fille advenait,
Sachant que la mère venait,
Et quelle joie est advenue
À toutes deux, à sa venue !
— Bravo ! lança Jeanne en riant et en
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