Les Fils de France
conseil fantôme qui se formait, au débotté, sous les lambris de Fontainebleau.
— Je m’en voudrais, conclut l’héritier de la couronne, d’oublier deux personnes qui, vous le savez bien, me sont plus chères que d’autres. D’abord le connétable, que je rappellerai au conseil dès mon avènement. Et puis...
Le dauphin posa sur Diane le plus énamouré des regards.
— Et puis – et j’aurais dû commencer par elle – ma chère, ma très chère Dame, que vous appellerez « Madame » comme on disait à ma grand-mère, et qui n’aura pas d’autre titre, puisqu’elle me conseillera en tout.
Les acclamations, cette fois, se firent un peu plus poussives.
— Et Briandas ? demanda quelqu’un.
— Briandas... réfléchit Henri. Voyons... Où est-il, d’abord ?
— C’est vrai, cela. Où est-il passé ? demanda la grande sénéchale.
— Je l’ai vu sortir, lâcha François d’Aumale en ricanant. Je parie qu’il est allé tout raconter au roi !
Aussitôt le silence se fit. Plus personne n’avait envie de rire.
— Dieu te garde, François de Valois !
Le nain Briandas fit, chez le roi, une entrée aussi remarquée que celle d’Aumale chez le dauphin.
— François de Valois ? Mais comment m’appelles-tu, Briandas ?
— Ce drôle a toutes les audaces, soupira la duchesse d’Étampes que les fous de cour n’amusaient pas.
Elle préférait de loin, comme ce soir-là, le commerce des artistes et des savants. Grâce à elle, les soupers privés du roi étaient toujours animés, brillants, remplis de grandes idées et de pensées utiles. La maîtresse du roi relança très naturellement la conversation.
— Monsieur Primaticcio nous parlait de son pavillon de Pomone.
— À boire pour François de Valois ! insista le nain, odieux.
— Mais où as-tu donc appris cette leçon ?
Comme s’il devinait l’importance de la plaisanterie, François I er lui accorda, d’instinct, toute son attention.
— C’est que tu n’es plus roi, par le sang de Dieu !
Un murmure de malaise parcourut la chambre. Le roi se mit à tousser. La favorite perdait patience.
— Tu n’es plus roi, puisque tu es mort.
— Mort ?
— Je l’ai vu, je viens de le voir. Du reste... Où se trouve le grand maître de l’Artillerie ?
Le seigneur de Taix se manifesta.
— Je suis ici, mais...
— Désolé, mon ami. Mais Brissac a pris ta place ! Quant à toi, là-bas, qui ris si bien, tu aurais mieux fait de te méfier, car c’est Saint-André qui est désormais chambellan...
— À la fin, espèce d’idiot, vas-tu m’expliquer de quoi tu parles ?
Briandas sourit sans répondre, grimpa tranquillement sur un tabouret puis, tout en jouant avec son bilboquet, se mit à épeler les noms et les titres de la maison du futur roi. François commençait à se lasser.
— Tu es de plus en plus fou, Briandas !
— Non, François, non, non. Toi-même, tu verras ici, très bientôt, monsieur le connétable qui te mènera à la baguette et t’apprendra à faire le sot.
— Oh ! fit l’assistance indignée.
Alors Briandas raconta au roi sidéré – et à la compagnie déconfite – la scène dont il venait d’être le témoin.
— Cette fois, marmonna François quand son bouffon eut fini, cette fois il est allé trop loin.
— Sire, tenta d’intervenir la duchesse, je suis certaine que ce drôle exagère...
Mais le roi s’était levé. D’un regard, il s’assura du soutien de Montgomery, capitaine de sa garde écossaise et, sans un mot, livide, soufflant déjà, quitta la pièce. Bien que souffrant, quoique très affaibli, il traversa en quelques minutes les couloirs qui le séparaient de l’appartement de son fils. Il y entra sans politesse, ses gardes ouvrant eux-mêmes les portes et forçant celles qui auraient pu résister.
Quand enfin le vieux monarque eut atteint la chambre du dauphin, il la trouva vide – ou plutôt, désertée en catastrophe par un cercle d’invités paniqués.
— Henri ! cria le roi. Henri, montre-toi, fils indigne, mauvais sujet et triste hère !
Personne ne répondit. Même les serviteurs du dauphin, effrayés, quittaient l’appartement sur la pointe des pieds.
— Henri ! hurla de nouveau François.
Le roi avait tiré son épée du fourreau. Ivre de rage, il se jeta sur les reliefs du repas et fit voler aux quatre coins de la chambre les plats, les mets, les verres et les couverts. Il renversa la table, se jeta sur une crédence dont il fit voler
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