Les fils de la liberté
perplexe. Il avait déjà subi suffisamment d’entretiens éprouvants avec des officiers de haut rang pour savoir qu’ils ne commençaient pas par un petit verre. Il accepta néanmoins et but du bout des lèvres.
Gates vida son verre d’une traite, le reposa et émit un profond soupir.
— J’ai besoin que vous me rendiez un service, colonel.
— Avec plaisir, mon général.
Jamie redoubla de méfiance. Que lui voulait donc ce gras-double ? S’il s’imaginait qu’il allait lui dire où était Ian ou lui expliquer le meurtre, il pouvait toujours attendre. Autrement…
— Les négociations de la reddition sont pratiquement achevées.
Gates lança un regard morne vers une épaisse pile de papiers qui étaient peut-être les brouillons.
— Les troupes de Burgoyne quitteront leur camp avec les honneurs de la guerre. Elles déposeront les armes sur les rives de l’Hudson et sous le commandement de leurs propres officiers. Tous les officiers conserveront leur épée et leur équipement ; les soldats, leur havresac. L’armée marchera ensuite jusqu’à Boston, où les hommes seront convenablement nourris et logés, avant d’embarquer pour l’Angleterre. La seule condition qui leur est imposée est de ne plus servir en Amérique du Nord durant cette guerre. Ce sont là des conditions généreuses, ne trouvez-vous pas, colonel ?
— Très généreuses, mon général.
Jamie était surpris. Pour quelle raison un général qui avait indiscutablement le dessus offrait-il des clauses aussi extraordinaires ?
Gates esquissa un sourire amer.
— Je vois que vous êtes surpris, colonel. Vous le serez sans doute moins quand je vous dirai que sir Henry Clinton avance actuellement vers le nord.
Gates avait hâte de conclure la reddition et de se débarrasser de Burgoyne afin de se préparer à une attaque venue du sud.
— En effet, mon général, je comprends mieux.
Gates ferma les yeux un instant. Il paraissait éreinté.
— Burgoyne a émis une dernière requête avant d’accepter cet accord.
— Oui, mon général ?
— On me dit que vous êtes le cousin du brigadier-général Fraser ?
— C’est exact.
— Parfait. Je suppose donc que vous ne verrez pas d’objection à rendre un petit service à votre pays ?
Un petit service se rapportant à Simon ? De quoi pouvait-il s’agir ?
— Le brigadier-général avait exprimé à plusieurs de ses aides de camp le désir que, s’il venait à mourir à l’étranger, ils l’enterrent au plus tôt – ce qu’ils ont fait, il est enseveli dans la grande redoute – mais que, lorsque ce serait possible, ils le ramènent en Ecosse afin qu’il puisse reposer en paix parmi les siens.
— Vous… vous voulez que je ramène son corps en Ecosse ? balbutia Jamie.
Il n’aurait pas été plus sidéré si Gates avait subitement bondi sur son bureau et dansé la matelote.
— Vous comprenez vite, colonel. Oui, c’est la dernière requête de Burgoyne. Il déclare que le brigadier-général était très aimé de ses hommes et que le fait de savoir son souhait exaucé, qu’ils ne l’ont pas abandonné dans sa tombe provisoire, les réconfortera dans leur retraite
Cela paraissait terriblement romantique et bien le genre de Burgoyne. Il avait la réputation d’aimer les gestes spectaculaires. Il avait également probablement raison quant aux sentiments des soldats qui avaient servi sous les ordres de Simon. Il avait été un sacré meneur d’hommes.
La conséquence finale de cette requête ne lui apparut que tardivement.
— Des mesures seront-elles prises pour que je rentre en Ecosse avec le corps ? demanda-t-il avec tact. Le blocus est toujours en cours.
— Vous voyagerez – vous, votre épouse et vos domestiques si vous le souhaitez – sur un des navires de Sa Majesté. Une somme vous sera allouée pour l’acheminement du cercueil jusqu’à sa dernière demeure une fois que vous aurez rejoint l’Ecosse. Ai-je votre accord, colonel Fraser ?
Jamie était si stupéfait qu’il répondit sans trop savoir ce qu’il disait mais cela sembla suffisant. Gates eut un sourire fatigué et le congédia. Jamie rejoignit sa tente sur un petit nuage, se demandant s’il pourrait déguiser Ian et le faire passer pour la femme de chambre de Claire, à la manière de Charles-Edouard Stuart.
Le 17 octobre, comme tous les jours, l’aube se leva sur le brouillard. Le général Burgoyne avait particulièrement soigné sa mise. Il portait un
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