Les fils de la liberté
suis très flattée mais n’est-ce pas plutôt mon mari que vous cherchiez ? A moins que vous ne souhaitiez me consulter pour un problème médical ?
Il sembla trouver cette idée amusante.
— Non. Votre mari se trouve en France, d’après Jeanne LeGrand. C’est à vous que je suis venu parler.
— De quoi ?
Il ne répondit pas tout de suite et fit signe à un serveur de nous apporter des rafraîchissements. J’ignorais s’il était simplement courtois ou s’il cherchait à gagner du temps pour formuler ce qu’il avait à dire. Quoi qu’il en soit, il dit au bout d’un moment :
— J’ai une proposition à soumettre à votre époux, madame.
Il devança ma question :
— Je lui aurais parlé directement mais il était déjà parti pour la France quand j’ai appris son passage à Edimbourg et, hélas, je ne serai moi-même plus ici à son retour. J’ai donc jugé préférable de venir vous trouver plutôt que d’écrire une lettre. Il y a des choses qu’il est plus sage de ne pas consigner par écrit, vous comprenez.
Il m’adressa un sourire qui le rendit soudain très attendrissant.
Je lissai ma jupe et m’installai confortablement.
— Je vous écoute.
Je bus une petite gorgée de cognac puis levai mon verre et l’examinai à la lumière.
— Non, conclus-je. Ce n’est que du cognac, pas de l’opium.
— Je vous demande pardon ?
Il regarda malgré lui son propre verre pour vérifier, me faisant rire.
— Je voulais dire qu’il est très bon mais pas assez pour me faire avaler une histoire pareille.
Il ne sembla pas offensé et se contenta de pencher la tête d’un côté.
— Pourriez-vous me citer une seule raison pour laquelle je l’aurais inventée ?
— Non, admis-je. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas.
— Pourtant, ce que je vous ai dit n’est pas impossible.
J’y réfléchis un moment.
— Disons que techniquement ce n’est pas impossible mais que cela reste totalement invraisemblable.
Il me resservit sans me demander mon avis et demanda :
— Avez-vous déjà vu une autruche ?
— Oui, pourquoi ?
— Vous devez reconnaître que les autruches sont totalement invraisemblables, pourtant elles existent bel et bien.
— Je vous l’accorde. Mais que Fergus soit l’héritier perdu du comte de Saint-Germain l’est encore plus. Surtout si vous considérez la partie concernant le contrat de mariage. Soyons raisonnables… un héritier légitime perdu ? C’est bien de la France que nous parlons, non ?
Il se mit à rire. L’alcool et l’amusement lui coloraient le teint et il était clair qu’il avait dû être très beau dans sa jeunesse. D’ailleurs, il était toujours fort séduisant. Intriguée, je repris :
— Puis-je vous demander quel est votre métier ?
Ma question le déconcerta. Il se frotta pensivement la mâchoire avant de répondre sans toutefois fuir mon regard.
— Je couche avec des femmes riches.
Je notai une trace légère mais troublante d’amertume dans sa voix.
— J’espère que vous ne me considérez pas comme un investissement potentiel. Ne vous laissez pas leurrer par mes lunettes en or, je n’ai pas un sou.
Il répondit avec un sourire :
— Ce n’est pas mon intention, même si votre compagnie serait assurément plus divertissante que celle de bon nombre de femmes fortunées.
— Vous êtes trop aimable.
Nous dégustâmes notre cognac en silence un certain temps, chacun se demandant comment poursuivre la conversation. Il pleuvait, naturellement. Le clapotis sur les pavés et le ronronnement du feu étaient délicieusement relaxants. Je me sentais étrangement à mon aise en sa présence mais je ne pouvais y passer la journée. J’avais un livre à écrire.
— Reprenons, dis-je. Pourquoi m’avez-vous raconté cette histoire ? Ou plutôt, j’ai deux questions : d’une part, pourquoi ne pas la raconter directement à Fergus lui-même ? D’autre part, en imaginant qu’elle soit vraie, quel est votre intérêt personnel dans cette affaire ?
— J’ai essayé d’en parler à M. Fraser, je veux dire Fergus Fraser. Il a refusé de me recevoir.
Le souvenir me revint.
— Ah ! C’est vous qui avez tenté de l’enlever en Caroline du Nord ?
— Non, répondit-il aussitôt. J’ai entendu parler de cette mésaventure mais j’ignore qui étaient ses assaillants. Probablement des hommes froissés par ses publications.
Il haussa les épaules.
— Quant à mon intérêt
Weitere Kostenlose Bücher