Les fils de la liberté
Francis.
11
Conflagration
Fort Ticonderoga, 1 er juillet 1777
Withcomb était rentré, avec plusieurs scalps de Britanniques, selon la rumeur. L’ayant rencontré ainsi que plusieurs autres Long Hunters, j’étais plutôt disposée à le croire. Ils n’étaient pas les seuls dans le fort à se vêtir de tenues en cuir brut et en homespun effiloché, ni à n’avoir que la peau sur les os. Mais ils étaient les seuls à avoir des regards de bêtes sauvages.
Le lendemain, Jamie fut convoqué chez le commandant et n’en ressortit qu’à la nuit tombée.
Un homme chantait devant l’un des feux allumés dans la cour près des quartiers de St. Clair. Assise sur un fût de porc salé, je l’écoutais quand j’aperçus Jamie qui passait de l’autre côté des flammes, se dirigeant vers notre bâtiment. Je me relevai rapidement et le rejoignis.
— Viens, me dit-il à voix basse.
Il m’entraîna vers le jardin du commandant. Il n’y avait aucune trace de nos ébats précédents même si j’avais une conscience aiguë de son corps, de la tension qui l’habitait et des battements de son cœur. Ce n’était pas bon signe.
— Que s’est-il passé ? chuchotai-je.
— Withcomb a capturé un soldat de l’armée régulière. Il refuse de parler, naturellement, mais St. Clair a eu la bonne idée de placer Andy Tracy dans sa cellule. Il est censé être un espion britannique.
— Très malin de sa part ! approuvai-je.
Le lieutenant Andrews Hodges Tracy était un Irlandais disert et charmant, doublé d’un fieffé menteur… Si quelqu’un pouvait soutirer des informations à un homme sans recourir à la violence, c’était bien lui.
— Il a pu lui tirer les vers du nez ?
— Oui. Nous avons également recueilli trois déserteurs, des Allemands. St. Clair m’a demandé de les interroger.
Ce qu’il avait fait. Les informations fournies par les déserteurs auraient été suspectes si elles n’avaient été corroborées par celles soutirées au prisonnier britannique. St. Clair avait enfin les renseignements solides qu’il attendait depuis trois semaines.
Le général Carleton était resté au Canada avec une force réduite. C’était bien Burgoyne, à la tête d’une grande armée d’invasion, qui marchait sur le fort. Il était secondé par le général von Riedesel, lui-même à la tête de sept régiments du Brunswick, de quatre compagnies de dragons et d’un bataillon d’infanterie légère. Son avant-garde n’était plus qu’à quatre jours de marche.
— Aïe !
— Comme tu dis, admit-il. Il y a pire : les premières lignes de Burgoyne sont dirigées par le brigadier Simon Fraser.
— Un parent à toi ?
C’était une question purement rhétorique ; avec un nom pareil, il l’était forcément.
— Oui, un petit-cousin, je crois. Et un excellent combattant.
— Le contraire m’eût étonnée. C’est tout, comme mauvaises nouvelles ?
— Non. D’après les déserteurs, les troupes de Burgoyne manquent d’approvisionnement. Les dragons sont à pied, faute d’avoir trouvé des chevaux frais. A moins qu’ils ne les aient mangés.
La nuit était chaude et lourde mais j’avais la chair de poule. En touchant le bras de Jamie, je constatai qu’il avait lui aussi les poils hérissés. Il va rêver de Culloden cette nuit, pensai-je soudain.
— J’aurais cru que c’était plutôt une bonne nouvelle, déclarai-je. En quoi est-elle mauvaise ?
Il prit ma main et entrelaça ses doigts aux miens.
— Ils n’ont pas suffisamment de provisions pour monter un siège. Ils n’ont pas d’autre choix que de nous prendre d’assaut et, apparemment, ils ont tous les moyens pour le faire.
Trois jours plus tard, les premiers guetteurs britanniques furent aperçus sur Mount Defiance.
Le lendemain, nous pouvions clairement voir du fort les débuts de la construction d’un poste d’artillerie sur Mount Defiance. Tout le monde les vit. Arthur St. Clair, s’inclinant enfin devant l’évidence, ordonna l’évacuation de Fort Ticonderoga.
Le gros de la garnison devait se déplacer sur Mount Independence, emportant les provisions de base et les pièces d’artillerie. Une partie du bétail devait être abattue, le reste conduit dans les bois. Plusieurs unités de miliciens traverseraient la forêt jusqu’à la route d’Hubbardton, où elles se tiendraient en renfort. Les femmes, les enfants et les invalides descendraient le lac en bateau, encadrés par une garde
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