Les fils de la liberté
trois fois en succession rapide. Il émit un long râle et se lâcha, tressaillant et gémissant, ses palpitations déclenchant un écho au plus profond de ma chair. Il s’abaissa avec lenteur, soupirant comme un ballon qui se dégonfle, puis resta allongé à mes côtés, respirant paisiblement, les yeux fermés.
Je caressai ses cheveux et il sourit sans rouvrir les yeux. Il inspira profondément et tout son corps se détendit, s’enfonçant dans la terre.
— Cette fois, tu as le droit de dormir. Et la prochaine fois, maudit Ecossais, je te dirai ce à quoi moi j’ai pensé.
Il rit silencieusement.
— Tu te souviens de la première fois où je t’ai embrassée, Sassenach ?
Je demeurai étendue un long moment, sentant la transpiration sécher sur ma peau et la masse rassurante de son corps endormi contre moi, avant de me souvenir enfin :
J’ai dit que j’étais puceau, pas que j’étais moine. Si j’ai besoin d’aide… je la demanderai.
Ian Murray fut extirpé d’un sommeil de plomb par la sonnerie d’un clairon. Rollo, couché à ses côtés, bondit aussitôt sur ses pattes avec un aboiement surpris et chercha une menace autour d’eux, les poils hérissés.
Ian se releva à son tour, une main sur son couteau, l’autre sur son chien.
— Chut !
L’animal se détendit légèrement mais continua d’émettre un grognement sourd à peine perceptible pour une oreille humaine. Ian sentait sa vibration sous sa paume.
Il les entendait maintenant clairement. Un frémissement souterrain parcourait la forêt, aussi sourd et vibrant que le grondement de Rollo. Des hommes, beaucoup d’hommes. Un camp s’éveillait. Il n’était pas très loin. Comment n’avait-il rien détecté la nuit précédente ? Il huma l’air mais le vent soufflait dans l’autre sens. Aucune odeur de fumée. En revanche, il la voyait à présent : de fines volutes grises s’élevaient dans le ciel pâle. Un grand nombre de feux de camp. Un très grand camp.
Il roula sa couverture tout en écoutant. Quelques secondes plus tard, ne laissant aucune trace derrière lui, il avait disparu dans le sous-bois, sa couverture attachée dans son dos et son fusil à la main, le grand chien sur ses talons.
10
Les Anglais arrivent
Three Mile Point, colonie de New York, 3 juillet 1777
La tache de transpiration entre les larges épaules du brigadier-général Fraser avait la forme de l’île de Man sur la carte de sa vieille salle d’étude dans la maison où il avait grandi. La redingote du lieutenant Greenleaf, elle, était entièrement imbibée de sueur, presque noire. Seules ses manches élimées étaient encore rouges.
La veste de William était scandaleusement neuve et éclatante mais pesait lourdement sur ses épaules, lui collant au corps. Sa chemise était trempée. Quand il l’avait enfilée quelques heures plus tôt, elle était alors toute raide, le sel de sa transpiration des derniers jours s’étant cristallisé dans la trame. Mais dès le soleil levé, une nouvelle vague de sueur la ramollissait.
En examinant la colline que le brigadier se proposait d’escalader, il avait espéré trouver un peu de fraîcheur à son sommet mais l’épuisement dû à l’ascension avait annulé tous les bienfaits de l’altitude. Quand ils avaient quitté le camp juste après l’aube, l’air était alors si délicieusement frais qu’il avait eu envie de courir nu dans les bois tel un Indien, de pêcher des poissons dans le lac, d’en frire une demi-douzaine roulés dans la farine de maïs et de les manger pour son petit déjeuner.
Ils se trouvaient à Three Mile Point, à environ cinq kilomètres au sud de Fort Ticonderoga. Le brigadier Fraser, à la tête d’une avant-garde, y avait fait stationner ses troupes etavait décidé de grimper sur une hauteur avec le lieutenant Greenleaf, un ingénieur, pour étudier le terrain avant de poursuivre leur route.
William avait été affecté au détachement du brigadier une semaine plus tôt et en était ravi. Fraser était un commandant aussi aimable et sociable que le général Burgoyne mais d’une manière différente. Cela dit, William aurait été content même sous le commandement d’un Tartare : il se trouvait en première ligne ; rien d’autre n’avait d’importance.
Il transportait l’équipement de l’ingénieur, ainsi que plusieurs gourdes et l’écritoire du brigadier. Il aida à installer le trépied et les instruments de mesure, tint les règles.
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