Les fils de la liberté
Brunswick désormais à pied, deux pièces de canon de trois et une centaine d’Indiens.
D’après les rapports, les Américains recevaient du bétail provenant de Nouvelle-Angleterre et parqué à Bennington, ainsi qu’un nombre considérable de carrioles chargées de maïs, de farine et autres denrées de première nécessité.
Par miracle, il ne pleuvait pas quand ils se mirent en route, ce qu’ils considérèrent comme de bon augure. La perspective de trouver de la nourriture renforçait leur optimisme. Les rations étaient réduites depuis ce qui leur paraissait une éternité, même si cela ne faisait qu’un peu plus d’une semaine. Cela dit, marcher des journées entières la faim au ventre faisait paraître le temps très long, William en savait quelque chose.
Bon nombre d’Indiens avaient encore leur monture. Ils dépassèrent la colonne principale, prirent un peu d’avancepour repérer le terrain puis revinrent la guider, l’aidant à franchir ou à contourner les tronçons de route – parfois à peine un sentier – absorbés par la forêt ou inondés par les ruisseaux gorgés d’eau de pluie qui dévalaient les pentes. Bennington se trouvait au bord d’une rivière baptisée Walloomsac. Tout en marchant, William discuta avec l’un des lieutenants hessiens de la possibilité de charger les marchandises sur des radeaux afin de les transporter jusqu’à un point de ralliement en aval.
La discussion était purement rhétorique puisque ni l’un ni l’autre ne connaissait le cours de la Walloomsac ni ne savait si elle était navigable, mais elle leur donnait l’occasion de parler chacun la langue de l’autre et de passer le temps lors de cette longue et pénible marche.
Dans son allemand laborieux, William expliqua à l’Oberlieutenant Gruenwald :
— Mon père a passé beaucoup de temps en Allemagne. Il est très goûteux de la cuisine hanovrienne.
Gruenwald, qui était originaire du Hesse-Cassel, s’autorisa un léger sourire en coin à la mention de Hanovre mais se contenta d’observer que même un Hanovrien savait rôtir un bœuf, voire faire bouillir quelques patates pour l’accompagner. Sa mère préparait un plat à base de viande de porc et de pommes cuites dans du vin rouge et épicées à la noix de muscade et à la cannelle. Il avait l’eau à la bouche rien que d’en parler.
Son visage ruisselait de transpiration ; la sueur traçait des rigoles dans la poussière et mouillait le col de sa veste bleu ciel. Il ôta son haut casque de grenadier et s’essuya avec un immense mouchoir à pois.
— Je pense que de la cannelle nous ne trouvons pas aujourd’hui, lui répondit William. Un cochon, peut-être.
— Dans ce cas, che le ferai rôtir pour vous, lui assura Gruenwald. Quant aux pommes…
Il glissa une main sous sa tunique et en sortit une poignée de petites pommes sauvages qu’il partagea avec William.
— Ch’en ai un demi-boisseau. Ch’ai aussi…
Il fut interrompu par des glapissements excités. Un Indien galopait le long de la colonne en sens inverse, un bras tendu derrière lui.
— Rivière ! cria-t-il.
Cette annonce revigora les hommes épuisés. Les cavaliers, qui avaient tenu à porter leurs hautes bottes et leurs grandes épées en dépit du fait qu’ils étaient à pied, se redressèrent dans un cliquetis de métal.
Un autre cri leur parvint depuis les premières lignes.
— Des bouses de vaches !
Les hommes se mirent à rire et acclamèrent la nouvelle en pressant le pas. William vit le colonel Baum, qui, lui, avait un cheval, s’écarter de la colonne et attendre sur le bas-côté. Il se pencha sur sa selle pour parler aux officiers qui passaient devant lui. Son aide de camp pointa un doigt vers une petite colline non loin.
William se tourna vers Gruenwald.
— Que pensez-vous de…
Il s’interrompit en constatant que son compagnon le fixait d’un air ahuri, la bouche grande ouverte. La main de l’Oberlieutenant retomba mollement le long de son flanc et son casque roula dans la poussière. Puis William vit un épais filet de sang couler lentement de sous les cheveux noirs de Gruenwald.
Après une demi-seconde d’incompréhension, il se mit à hurler :
— EMBUSCADE ! Das ist ein Überfall !
Des cris d’alarme se propagèrent le long de la colonne et des coups de feu retentirent dans la forêt. William attrapa Gruenwald sous les aisselles et le tira à l’abri sous les pins. L’Oberlieutenant était toujours vivant
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